« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PÉCHÉ DE JEUNESSE


 

 

Bien sûr

Demain la vieillesse me viendra.

 

La vieillesse me viendra

Comme un gouffre malsain

Visité à tâtons

Comme un pipo sculpté

Dans une corne d'homme.

 

J'y logerai sans joies.

 

J'y logerai sans joies

Mais je saurai dire non

Au souffle qui macule

Ejaculer les rides

Qui se croiront portées

Cravacherai les lois

Qui se peindront parfaites

Prendrai tous les pavés

Des rues qui se clôturent

En ferai une longue envolée

De flamants et de roses

 

Bien sûr

Demain la vieillesse me viendra

Bien sûr…

 

Mais je fondrai dans un abîme

Toutes les poussières de sa foi

Accrocherai des croix

Aux bourreaux de sa guerre

Puis ferai couler du sang frais

Dans sa poitrine offerte.

 

J'étranglerai sa victoire.

 

Demain la vieillesse me viendra

Je sais.

 

Comme un bateau usé

Mon cœur prendra l'eau de partout.

 

De partout malgré le temps

Il saura bien pourtant

Hurler sa plénitude

Aux voix qui le malmènent

Cracher sa vérité

Aux mirages qui grondent.

 

Malgré son ciel de nuit

L'acidité de ses fantômes

Saura refaire des courbatures

Au maître de céans huppé

Puis à sa reine en chemise.

 

Demain

Oui demain la vieillesse me viendra.

 

Plié comme un géant battu

Caracolant sur les vertiges

Le désespoir fera fortune

 

Tendue sur ses béquilles

L'abstraction de l'amour

Mentira malgré elle des ripailles

A l'acte sans potence.

 

Bien sûr

Demain la vieillesse me viendra

Et avec elle aussi

Et malgré moi peut-être

La fin des foutues prétentions

D'un poème du dimanche.

 

Algrange, 23 août 1970.

Alphonse Pensa / Les mains crépusculaires


Illustration : " Voyage pictural sur la Romance sans paroles de Robert Schuman", peinture d'Alphonse Pensa.