« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PRINTEMPS

 

 

 

 

 

    Sur l’herbe mince du talus déjà vert, elle s’étend. Son corsage de soie rouge, loque haillonneuse et splendide, est gonflé par la poitrine abondante, déjetée vers les aisselles. L’étoffe colle aux seins démolis et forts, à l’épaule puissante, aux reins superbes qui s’étirent. Car il fait bon s’étendre à plat ventre, les coudes crevant les touffes de gazon maigre.

    La fille est tombée à genoux, puis, longuement, elle se couche, les mains en avant pour amortir la chute. Un moment la croupe eut des remous de chair profonde. Maintenant les reins arqués pressent le sol.

    Jouisseuse épaisse, rougeaude d’auberge à plaisir, elle est plus une bête qu’une fille, même vulgaire. Les maxillaires durs en font  une brute. La lourde tignasse brune pend sur l’oreille et les ongles noirs fouillent avec délices, irritant d’un insaisissable chatouillis le derme gras.

    Aux pentes des collines infléchies, la lumière ondoie. Braise verte, bistre, rouge, elle se tord et ruisselle sur les pâtures vivaces, les terreaux féconds ou les basses tuiles des fermes. Le bourg envahit la combe de sa lèpre multicolore et tourmentée : maisons dorées, éboulis de toitures, éclats d’azur aux vitres miroitantes, humble et grouillant effort des choses quotidiennes que ce printemps tourmente, tout cela comble la profondeur des inclinaisons souples où situe le fleuve, tout cela s’éparpille et grimpe à l’assaut des collines luisantes comme des croupes animales.

    Des brises passent. A fortes humées la fille agrée l’offrande. Ne lui doit-on pas l’odeur fière de cette matinée ? Les narines plissées, elle quête la fraîcheur des berges fleuries de jonquilles et de lis d’eau : elle rumine la vireuse douceur des plates-bandes retournées à la bêche ou des guérets entamés jusqu’au tuf. La haie d’un enclos voisin est assaillie par un flot vif de roses. Le vent secoue cette orgueilleuse draperie.

        Lilas sensuels sous la vague qui les courbe, sureaux amers crépitant du vol des cétoines, feuillées ivres d’une ardeur de sève, les odeurs mêlées arrivent. Des souffles inclinent les orties gracieuses et les dernières tiges des lianes.

    Oh ! ne sera-t-elle pas conquise jusqu’au plus intime de sa chair ! N’aura-t-elle pas ce cri définitif d’amoureuses ! Faunesse aux senteurs fortes, ne bondira-t-elle pas, crevant soudain la jupe dérisoire, nue comme les premières et chaudes compagnes du bouc ?

    … Devant le paysage frémissant, la fille fixe l’azur altier et se fait saigner les gencives avec une paille.

Francis Carco / Poèmes en prose