« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La Chair des langues d'esclaves

 

 





Certains poètes contemporains donnent l'impression de n'être que des cerveaux, de purs produits de matière grise tarabiscotée. Quelques mots sur une page, des collisions verbales aléatoires, un vague tropisme mallarméen, un culte du mot seul, une religion de la phrase pour elle-même, une manie du blanc et de l'espace, de quoi générer un autisme de bon aloi, et s'assurer qu'on ne sera pas lu, aimé, compris. De quoi aussi, bien-sûr, certifier qu'on a à faire au grand poète. Car ils aiment l'ineffable, scénographient l'indicible, se pâment en dévots de la théologie négative. Pas besoin de donner des noms : ils incarnent le bon goût du moment...

D'autres, en revanche, croient que le mot ne constitue pas une fin mais un moyen. Le poème ? Sûrement pas un artifice de pure forme, un artefact de technicien de l'écriture, mais une prose revendiquant sa matérialité, sa musicalité, le rythme et la cadence des vocalises primitives de l'Homo sapiens. D'une part, des encéphales désincarnés ; de l'autre, des corps de chair épanouie doués de l'hyperesthésie des fauves les plus achevés.

 

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Michel Onfray / Préface (extrait) à "Non-assistance à poètes en danger" de René Depestre.