« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Nuit d'un lyncheur


 

 

À sa femme il dit qu'il allait

faire un tour

Et il est sorti

Avec dans l'âme

le soleil bien moulé de sa Jessie,

Et dans sa tête,

Une idée fixe comme la faim d'un loup.

Il est sorti.

D'un côté de son cœur,

Dormait un enfant

Comme doivent dormir

Les petites fleurs au printemps

De l'autre côté de son cœur,

Une idée fixe pointait ses yeux

affamés de loup.

 

Il est sorti.

Avec dans l'âme,

Ses nuits d'amour en un seul bûcher,

Et en guise de main droite,

Le museau éveillé d'un loup.

 

Il a marché longtemps

Quand il est rentré après minuit

Le corps de Jessie est toujours

Au fond de son âme,

Le même petit jardin suspendu,

Sa fillette est toujours,

À l'aile droite de son cœur,

La même petite fleur endormie de printemps,

mais le loup qu'est la main droite

N'a plus ses poils hérissés de faim.

 

Comme je passais sur la grand' route

Une étoile m'a dit

Qu'à cent mètres de là

Un nègre

Brûle sa dernière goutte de

sang sous les étoiles.

René Depestre / Minerai noir - Anthologie personnelle