« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’ÉMEUTE

 


 

     C’est une nuit d’émeute. Pourtant le ciel étincelle d’un fourmillement d’astres sur la ville : le ciel d’août est sillonné d’étoiles filantes.

     Qu’importent ces choses ! Les hommes ne tombent plus dans les puits pour déchiffrer les énigmes d’en haut. Ils demandent au contraire qu’on chasse les poètes et les rêveurs. « Ne sommes-nous pas la force ? disent-ils, et le développement de nos muscles ne vaut-il pas celui de leurs cerveaux ? Place, donc ! Et qu’on nous laisse le tumulte grossier de nos manifestations. Nous avons les poings puissants comme des béliers et l’alcool décuple nos enthousiasmes. On nous a dit qu’un homme vaut un homme. Il n’y a pas d’exception. Il ne peut pas y avoir d’exception, car cette certitude nous permettra de vaincre. »

     Des bandes vocifèrent et remplissent la ville d’un colossal appel au peuple. Des gueules scandent l’Internationale. Les cafés sont pleins. On boit du trois-six ; on fume du gros tabac et des femmes en cheveux portent des drapeaux rouges.

     … Ils débouchent ainsi sur la place illustre où sont les musées de statues, de toiles peintes. Des rampes de gaz brûlent aux édifices. Un homme parle au balcon d’un cercle. C’est lui qu’on applaudit. cabotin de la politique, il étend son bras sur la foule pour affirmer que l’avenir lui appartient.

     « Hurrah ! ! »

     Mais la place est cernée d’agents. Des cavaliers avancent, trapus sur leurs montures, la jugulaire à leurs mentons carrés de massacreurs. Ils sont massés devant les devantures de fer des magasins.

     Le peuple applaudit l’orateur et lui bat de formidables bans. Et tout d’un coup, des cris s’élèvent. Les guerriers sabrent la foule à gestes brefs qui s’abattent et chaque fois l’éclair des armes lit. On dit qu’on a tué des enfants et des femmes, qu’un vieillard a été écrasé ; il y a dix agents blessés au revolver, un homme ale mufle en sang. Les chevaux se cabrent quand on leur enfonce des couteaux dans les flancs et si lz guerrier est culbuté tous se ruent pour lui planter leurs lames dans la gorge et se saisir du sabre.

     Cependant la nuit est lumineuse d’étoiles et quand le vent passe sur les rampes de feu c’est comme un sensuel déchirement de soie qui rappelle le bruit de la mer.

Francis Carco / Poèmes en prose