« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PANTALÉON LE GUÉRISSEUR


 

Maître Pantaléon s'avance à travers champs,

au milieu des herbes et des fleurs qui lui viennent à la ceinture.

Et les herbes s'écartent devant lui, et les fleurs le saluent.

Car il connaît leurs vertus secrètes,

il sait les salutaires et les vénéneuses;

aux herbes utiles et bienfaisantes

il répond par un salut amical,

tandis que celles qui ne poussent que pour le mal,

il les menace de son bâton noueux.

Il cueille des feuilles aux meilleures plantes,

il en remplit son sac,

et pour les pauvres malades

il en prépare un remède souverain.

Maître Pantaléon, aie pitié de

nous aussi !

Ton baume miraculeux

verse-le sur nos plaies !

Car nous souffrons de bien des maux!

Il en est parmi nous dont l'âme est estropiée,

il en est dont l'esprit est profondément ulcéré,

il en est de sourds, de muets, d'aveugles,

d'empoisonnés par de méchants venins.

Viens-leur en aide avec tes simples.

Et aussi, maître,

ce qui n'était pas autrefois,

il s'en rencontre encore parmi nous

qui ont horreur de toute cure.

Ils ne peuvent supporter le son de la gousla ;

ce qu'il leur faut, c'est l'article de bazar !

Tout ce qu'ils ne peuvent peser ou mesurer,

tout cela, crient-ils, est à supprimer !

Il n'y a, selon eux, de réel

que ce qui tombe sous nos sens.

Et leurs manières sont grossières,

et leurs doctrines sont immondes.

Ah ! à ces gens-là,

Maître Pantaléon,

ne ménage pas ton bâton

noueux !

 

(1855-65)

Alexis Tolstoï