L’AUBE DANS LA CHAMBRE
Par domcorrieras, le mercredi 13 septembre 2017 - Poèmes & chansons - lien permanent
Le petit jour vient toucher une tête en son sommeil
Il glisse sur l’os frontal
Et s’assure que c’est bien le même homme que la veille.
A pas de loup; les couleurs pénètrent par la croisée
Avec leur longue habitude de ne pas faire de bruit.
La blanche vient de Timor et toucha la Palestine
Et voilà que sur le lit elle s’incline et s’étale
Et cette autre avec regret se sépara de la Chine,
La voici sur le miroir
Lui donnant sa profondeur
Rien qu’en s ‘approchant de lui.
Une autre va vers l’armoire et la frotte un peu de jaune,
Celle-ci repeint de noir
La condition de l’homme
Qui repose dans son lit.
Alors l’âme qui le sait,
Mère inquiète toujours près de ce corps qui s’allonge :
« Le malheur n’est pas sur nous
Puisque le corps de mes jours
Dans la pénombre respire.
Il n’est plus grande douleur
Que ne pas pouvoir souffrir
Et que l’âme soit sas gîte
Devant des portes fermées.
Un jour je serai privée de ce garnd corps près de moi;
J’aime bien à deviner ses formes dessous les draps,
Mon ami le sang qui coule dans son delta malaisé,
Et cette main qui parfois
Bouge un peu sous quelque songe
Qui ne laissera de trace
Dans le corps ni dans son âme.
Mais il dort, ne pensons pas pour ne pas le réveiller,
Ce n’est pas bien difficile
Il suffit de s’appliquer,
Qu’on ne m’entende pas plus que le feuillage qui pousse
Ni la rose de verdure.
Jules Supervielle / Les amis inconnu / Les veuves