« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'INCONNU


 

 

Atome intelligent dans l'immense matière,

Grain de sable perdu sous l'espace du ciel,

Être étrange et divers, fait d'ombre et de lumière,

L'Homme est né pour mourir, et se sent immortel.

 

Il se demeure, hélas ! une énigme à lui-même,

Et quel que soit le dieu que son âme invoqua,

Il n'a pu jusqu'ici, sondant le grand problème,

Joyeux et triomphant, s'écrier : « Eurêka ! »

 

Nous cherchons tous le mot de l'énigme profonde,

Mot toujours poursuivi par chaque être vivant.

Voyageurs dispersés, nous traversons le monde :

Que serons-nous après, et qu'étions-nous avant ?

 

Où donc la vie humaine a-t-elle pris sa source ?

Vers quel But inconnu son cours est-il chassé ?

Vers d'autres univers portons-nous notre course ?

L'Avenir serait-il l'image du Passé ?

 

Ô Mystère insondable ! Ô grand Pourquoi des choses !

Arche immense d'un pont sur les siècles construit,

Et dont les deux piliers, les effets et les causes,

Plongent, l'un dans le vague et l'autre dans la nuit.

 

Neuchâtel, 15 avril 1882

Alice de Chambrier / Poèmes choisis