« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Des coiffes d'écorce

 

 

 

Des coiffes d'écorce
Des colliers de nervure
Des maillots de mousse
Tu m'attends vraiment
Au coin du bois flottant
À la source du naufrage
La longe du vent m'aide à marcher au nord de la
     passerelle des larmes
Entre les tempes du ciel
Le froid hésite
Plonge sous la carapace des crapauds de l'air
Légère légère la bulle du corps
Légère comme le chaos
Le nombre assassiné dans la chute
Réveillez-vous
La vrille du déséquilibre transperce le tympan de l'eau
Tu me prends par la main des ténèbres
Tu ramasses l'énigme de la lumière brisée
Tu me vois à travers
À travers les frontières de la transpiration
À travers les déguisements sanguins de mes villes
     animales
Fausse saison entaille mouvante
Je vais rêvant
Rêvant comme un quartier en démolition

Mes villes d'écueils magnétiques
Mes villes qui gonflent dans les bottines des cheminées
Mes villes qui balafrent leurs lampions de pus
L'asphalte hirsute de sexes bouffons
Des chaînes de vélo flottantes dans les bourses de la
     lune voilée
Et la taupe des machines à sous qui travaille
Jusqu'à crever dans le caniveau du jour
Des danseuses hawaiiennes plein la gueule
Le crachoir des accroche-cœur sanglote
Les tendons sont rivés aux silos des jeans
Attention aux dernières voitures de maîtres
Tirées par des attaches de rats
Des entonnoirs de cris élargissent les trous de la nuit
Je ne sauverai pas les meubles
J'arrache seulement les graffitis de l'aube
Qui détournent les archipels bleu électrique des lèvres
     à la dérive.

 

Annie Le Brun / Ombre pour ombre