« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA DEMEURE ENTOURÉE


 

 

Le corps de la montagne hésite à ma fenêtre :

« Comment peut-on entrer si l'on est sur la montagne,

Si l'on est en hauteur, avec roches, cailloux,

Un morceau de la Terre, altéré par le Ciel ? »

Le feuillage des bois entoure ma maison :

« Les bois ont-ils leur mot à dire là-dedans ?

Notre monde branchu, notre monde feuillu

Que peut-il dans la chambre où siège ce lit blanc,

Près de ce chandelier qui brûle par le haut,

Et devant cette fleur qui trempe dans un verre ?

Que peut-il pour cet homme et son bras replié,

Cette main écrivant entre quatre murs ?

Prenons avis de nos racines délicates,

Il ne nous a pas vus, il cherche au fond de lui

Des arbres différents qui comprennent sa langue. »

Et la rivière dit : « Je ne veux rien savoir,

Je coule pour moi-seule et j'ignore les hommes.

Je ne suis jamais là où l'on croit me trouver

Et vais me devançant, crainte de m'attarder.

Tant pis pour ces gens-là qui s'en vont sur leurs jambes.

Ils partent, et toujours reviennent sur leurs pas. »

Mais l'étoile se dit : « Je tremble au bout d'un fil.

Si nul ne pense à moi je cesse d'exister. »

Jules Supervielle / Les amis inconnus
Illustration : Par Carlo Rim. dessin original à l'encre noire rehaussé au correcteur blanc représentant le poète Jules Supervielle.