« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Aveugle

 

 

 

Non, rien n'est changé : les pas
viennent et s'en vont;
le vent vers moi s'incline
et les feuilles de Mai sont fidèles.
Toute les formes qui sont là
toujours sur le point de partir
les faubourgs hésitants, les maisons vagabondes
les sons créés pour aussitôt mourir,
j'apprends j'apprends à les connaître,
je touche les murs et les arbres
j'entends les voix:
à tous j'offre ma patience
et ma mémoire où rien ne bouge…

Oui, c'est bien là mon village
les mêmes habitants du jour
douloureux amaigris obstinés
cherchant la trace exacte
et le son vrai des marteaux sur l'enclume
dans ce présent de mensonge et de nuit.

Jean Tardieu / Jours pétrifiés (1948)