« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

les cloches sonnent sans raison

 

 

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous marchons pour échapper au fourmillement des
     routes
avec un flacon de paysage une maladie une seule
une seule maladie que nous cultivons la mort
je sais que je porte la mélodie en moi et n'en ai pas
     peur
je porte la mort et si je meurs c'est la mort
qui me portera dans ses bras imperceptibles
fins et légers comme l'odeur de l'herbe maigre
fins et légers comme le départ sans cause
sans amertume sans dettes sans regrets sans
les cloches sonnent sans raison et nous aussi
pourquoi chercher le bout de la chaîne qui nous relie à
     la chaîne
sonnez cloches sans raison et nous aussi
nous ferons sonner en nous les verres cassés
les monnaies d'argent mêlées aux fausses monnaies
les débris des fêtes éclatées en rire et en tempête
aux portes desquelles pourraient s'ouvrir les gouffres
les tombes d'air les moulins broyant les os arctiques
ces fêtes sur nos muscles la nuit du plomb fondu

 

Tristan Tzara / L'homme approximatif (extrait)
Photo : Tristan Tzara par Man Ray, vers 1924