« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À UN QUE LA MER A RENDU

 

 

 

(à Jean-Marie Barnaud)


Que cherches-tu vieux frère
quand tu lèves la voile sous l'ombre
poussant le vent de l'épaule
avec l'orgueil des Anciens
qui tutoyaient d'un rire chantant
les dieux balourds égarés sur la terre ?

la nuit dans la mer ressasse
son unique pensée
qui a le goût des âges
et de leur charge obscure

ce serait donc cela :
le vide qui avance sous la vague
tandis que marin de la main et de l'âme
tu ruses avec les forces sans visage

un vide éperonné par l'esprit
- cette pauvre vanité des hommes
qui veut voir au fond des silences
et que la gerbe des eaux aveugle ?

non pas tu es sage dans l'épreuve
tu sais que seul l'espace franchi est heureux
et comme Ulysse fit un lit dans l'olivier
ta main creuse dans la vague
l'instant d'une jubilation

c'est cela naviguer peut-être
accomplir une respiration profonde
et purement accueillir oreille sur le mystère
soumis pour de bon à l'excès du monde
et ce serait ce jeu grave de toiles et de cordes
qui met l'être en tension sous le ciel
une doléance du cœur
qui voudrait tant lui le suppliant
jaloux des joies naturelles
être rythme et léger lentement s'assouvir

frère revenu ruisselant de la vague
comme on revient de la mort esquissée du poème
qui de tout sépare et fait renaître inépuisé
au bord mouvant de la vie

tu existes pleinement sur la mer
et ton pied au royaume des ombres
foule l'or perdu des franchissements de grande tempête

 

Jean-Pierre Siméon / Levez-vous du tombeau