« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CHANSON BACHIQUE

 

 

 

Air : Ainsi jadis un grand prophète


Puisque sans boire on ne peut vivre,
Célébrons ce nectar parfait !
Mais permettez que je m'enivre,
Pour me remplir de mon sujet.
Étourdi du jus de la tonne,
Je puis ne dire rien de bon ;
Mais du moins si je déraisonne,
Ce ne sera pas sans raison.
D'Anacréon et d'Épicure
Suivons le précepte charmant :
Amis, tout boit dans la nature.
Les enfants boivent en naissant,
L'homme boit dans la maladie,
Il boit quand il est bien portant ;
De boire enfin telle est l'envie,
Que l'on boit même en se noyant.
On dit qu'on chancelle à trop boire,
Que la chute suit le faux pas ;
Mais on vit, vous pouvez m'en croire,
Tout le contraire en certains cas :
Car, lorsque le public écoute
Des pièces dont nous l'assommons,
Lui seul est bientôt saoul sans doute,
Et c'est pourtant nous qui tombons.
Juliet*; que n'ai-je ton adresse
Pour représenter les buveurs !
A nos yeux quand tu peins l'ivresse,
Tu la fais passer dans nos cœurs.
Dans ton délire, combien j'aime
Les heureux faux pas que tu fais !
Ah ! chancelle toujours de même,
Et tu ne tomberas jamais.

* Acteur de l'Opéra-Comique.

 

 Marc-Antoine Désaugiers / Chansons et poésies diverses
Illustration : Portrait de Désaugiers par Jean-Baptiste Isabey (1816)