« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CERISE

 

 

 

TSOU-KI YA ? ARANOI :
HAROU YA.

La lune ? Non :
Le printemps.


     Elle a quitté sa robe d'alouette, jaune citrin, fleur de coucou, et sa tunique bleu de lune, pâle corindon qui meurt de froid.
     Elle est en rouge maintenant, en noir et blanc ;
     Ses manches sont des plumes lasses ; elle marche un peu sur l'ombre de ses ailes.
     Quoi de plus noir, et de plus soie, ou de plus laque,
     La bordure de sa robe ou les grandes coques vernies de ses cheveux ?
     Son doux visage obéissant est un œuf d'ivoire, où le pinceau a tracé trois sourires.
     Dans une moue exquise, elle pince un peu ses lèvres en V,
     Elle a la bouche d'un petit chat écarlate ;
     Et le sourire intérieur modèle toute sa figure.

     On ne sait même pas si vous vous déplacez.
     Vous êtes un mouvement insensible du temps ;
     Votre pas est celui de l'heure, et votre danse est un repos.
     Vous êtes une tulipe si serrée que rien ne l'ouvre :
     Des étamines ou vos bras ? et les anthères, ces petites mains aux ongles bombées ?
     Si vous êtes amoureuse, chaste Cerise,
     Il faut mesurer votre amour à vos pudeurs.

     Elle conduit ainsi son fiancé ou son amant,
     Celui qu'elle a choisi, celui qui fait également en elle choix de sa vie, ce matin de printemps,
     Sous les cerisiers en fleurs, le bois des papillons qui dorment.
     Elle ondule ; elle est le balancement du flot,
     Le liquide rayon que le souffle d'avril fait cheminer sur l'eau ;
     Et lui, qu'elle fascine, dérive avec délices, plus léger, plus docile au courant que le rameau fleuri de l'orme.

     Comme l'oiseau charmé suit le dieu qui joue de la flûte,
     Le Seigneur qui vous aime et vous préfère à toutes
     Met ses pas dans vos pas : il glisse où vous glissez ;
     Vous l'avez enchanté du plus subtil enchantement ;
     Chacun de vos gestes est une mélodie qu'il imite.
     Il est derrière vous tel que votre ombre extasiée :
     Où le conduisez-vous, ce fier émerveillé, ce véritable amant ?
     Vers quelle source, quel palais ou quel mirage ?

     Il obéit à la flûte mystérieuse
     Que nul n'entend, sinon celui qui est déjà plein de son chant :
     O Cerise, vous êtes femme, et pour nous aussi, la terre du Japon a votre visage.

André Suarès / Sous le pont de la lune (extrait)