« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le Triomphe du Cul

 

 

 

sur une Dame, dont la juppe
fut retroussée
en versant dans un carrosse, à la campagne.

 

Philis je suis dessous vos Lois,
Et sans remède à cette fois,
Mon âme est votre prisonnière :
Mais sans justice & sans raison
Vous m'avez pris par le derrière,
N'est-ce pas une trahison.

Je m'étais gardé de vos yeux,
Et ce visage radieux,
Qui peut faire pâlir le nôtre,
Contre moi n'ayant point d'appas,
Vous m'en aurez fait voir un autre
De qui je ne me gardais pas.

D'abord il se fit mon Vainqueur ;
Ses attraits percèrent mon cœur,
Ma liberté se vit ravie,
Et le méchant en cet état,
S'était caché toute sa vie
Pour faire cet assassinat.

Il est vrai que je fus surpris.
Le feu passa dans mes esprits,
Et mon cœur autrefois superbe.
Humble se rendit à l'amour,
En voyant votre Cul sur l'herbe
Faire honte aux rayons du jour.

Le soleil confus dans les Cieux,
En le voyant si radieux,
Pensa retourner en arrière :
Son feu ne servant plus de rien,
Car ayant vu votre derrière,
Il n'osa plus montrer le sien.

En découvrant tant de beautés,
Les Sylvains furent enchantés,
Et Zéphyr voyant encore
D'autres appas que vous avez,
Même en la présence de Flore,
Vous baisa ce que vous savez.

La Rose la Reine des Fleurs,
Perdit ses plus vives couleurs,
De crainte l'Œillet devint blême
Et Narcisse alors convaincu,
Oublia l'amour de lui-même,
En se mirant dans votre Cul.  

Aussi rien n'est si précieux,
Et la clarté de vos beaux yeux,
Votre teint qui jamais ne change,
Et le reste de vos appas
Ne méritent point de louange,
Qu'alors qu'il se montre pas.

On m'a dit qu'il a des défauts,
Qui me causeront mille maux
Car il est farouche à merveille.
Il est dur comme un diamant,
Il est sans yeux et sans oreilles,
Et ne parle que rarement.

Mais je l'aime & veux que mes Vers
Par tous les coins de l'Univers
En fassent vivre la mémoire,
Et ne veux songer désormais
Qu'à chanter dignement la gloire
Du plus beau Cul qui fut jamais.

Philis, cachez bien ses appas,
Les Mortels ne dureraient pas,
Si les Beautés étaient sans voiles,
Et les Dieux qui règnent dessus nous,
Assis là-haut sur les Étoiles,
Ont un moins beau siège que vous.

Vincent Voiture / Le Triomphe du Cul
Illustration : portrait de Vincent Voiture par Philippe de Champagne