« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA MORT DE KLEIST

 

 

 

Langue de plomb, bouche de pierre
Et dans les ronces, les orties une lyre rouillée.
Pourtant la braise couve encore au cœur du soleil charbonneux
Que sont seuls à connaître les déjà hors-le-monde.

Les lauriers sont fanés au front des jeunes dieux
Tombés pour que fleurisse l'arbre de liberté;
Il faut se perdre afin de se trouver. Déjà la porte
De la mort tourne sur ses gonds feutrés

Penthésilée s'est tuée de par sa seule volonté.
Mais à nous faibles mortels il est échu
De recourir à de stupides expédients. Et pourtant!
Le sommeil et la mort ont le même visage.

Heureux l'homme qui ne meurt pas seul, abandonné
Heureux celui qui trouve pour l'accompagner
Une âme vraiment sœur, une Ariane attendrie
Qui puisse le guider dans le dédale souterrain.

Le cri rauque d'un cygne sur les sombres eaux du lac
Une étoile qui vacille puis s'efface dans la brume.
— Mais tu as froid pauvre chérie? Allons!
Il est temps de partir, il est temps de dormir …

 

Edmond Dune / Introduction à la poésie expérimentale (1969-1972)
Photo : Edmond Dune par Wolfgang Osterheld (1986) © Wolfgang Osterheld/Collection CNL