« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Gib le croque-mort

 

 

 

J'ai vu un poète mort
retourner dans son bar parisien
il regardait sa table
occupée par deux touristes
un autre regardait l'air triste
sa maison envahie.
Regardez, touchez
ni même d'un vers vous vous souvenez.

J'ai vu un grand cimetière
gardé par des soldats armés
dix mille victimes entourées
également par des morts.

J'ai vu un monsieur assis
dans un petit cimetière
il n'y avait plus de place vraiment.
On l'avait déterré
et laissé là.
Il disait mélancoliquement
« Même vivant
je n'ai jamais trouvé ma place. »
et la veuve à ses côtés
lui criait
« Mets-toi en avant
au moins avec le croque-mort. »

J'ai vu un cadavre
s'enfuir
du tombeau familial
après une dispute
avec sa femme et sa fille.

J'ai vu des squelettes
s'embrasser avec mécanique
passion et précision.

J'ai vu un vieux
des jardins publics
mourir seul
mais chaque matin
devant sa tombe
venait le voir
un banc.

 

Stefano Benni / Blues en seize et autres poèmes
traduit de l'italien par Jean Portante