« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CHANSON

 

 

 

Moi, fils de pute, je confesse
qu'ayant pour toi de l'amour je manquais de
                                                               [cervelle.
Je pensais que tu étais femme honnête :
il n'y a en ce monde vérité plus éprouvée.
Mais tu fis tant et si bien la mijaurée
qu'à la fin tu n'en fis qu'à ta tête.
Qu'on me pende si l'on pouvait penser
que d'un tel visage sortirait tant de fourberie.

La bouche petite et mince
à tous lance ses effluves de viande avariée ;
les dents audacieuses
à peine peuvent-elles manger tant sont rentrées ;
avec force raison j'affirme
que les doux vers sont mensonges remplis,
car ce que de nombreuses chansons nomment
                                                      [des perles pures
ne sont plus chez elle que de putrides caries.

Si d'aventure en ta tignasse quelque pou
élisait domicile, comme une pauvre âme en peine
on le devrait considérer,
car ta crinière est son purgatoire.
J'appelais ta face décomposée « soleil »
pour ce que le soleil lui prête de venin,
en tes lèvres grenade,
étant, comme on le peut voir, de chair humaine.

Ce qui de tout cela le plus me chagrine
est de constater que pour le geste tu as l'œil ;
j'ai assez pratiqué tes lubies
qui guignent à la suite des espèces sonnantes
sans jamais dédaigner le moindre centime :
qu'ils s'additionnent par quartiers, tout comme
                                                              [la lune !
Qu'il est triste celui qui, au milieu de tant
                                                        [d'opulence,
reçoit la monnaie de sa pièce et s'en trouve cocu !

Et ce qui m'affecte le plus
est la mémoire de cette sainte vieille
dont la demeure aurait pu
être, par ses multiples pièges, souricière ;
et dont les avis résident, sans en oublier aucun,
tout entiers dans la finance et aucun dans l'économie.
Que l'on me tonde si, en fin de compte,
devant elle, je ne lui tire mon chapeau.

Mais alors qui trouvera les mots
pour dire les dits et les faits
de ce page benêt,
de son larbin, corvéable à merci ;
de ce coureur de fond qui, si tu en étais une autre,
te ferait à son tour galoper et te monterait ?
Mais rendons-lui justice,
car il n'est en réalité qu'un garçon de course.

Ce ne fut pas un trait des moins habiles
que de te laisser accroire que tu étais discrète,
sage et matrone en sa saine raison.
Jamais elle n'en douta, la bécasse !
Laisse-moi donc, sans m'interrompre, un instant
                                                                [de répit,
ça n'est pas mince peine que de pouvoir se distraire !
Bien assez ai donné, jusqu'à satiété,
et soixante-dix fois te renie.

 

Francisco de Quevedo /Poèmes satiriques et burlesques traduit de l'espagnol par Victor Martinez