« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ENFANCE

 

 

 

Une cloche d'avril se dissout dans le ciel
Une caresse d'eau s'insinue dans mes yeux
Un parfum de fruit vert sonne dans ma pensée
Une image d'argile apprivoise ma paume.

Dans les passés grillés qui dessinent mon cœur
J'effruite l'arbre gris en-dessous des années
Et je glisse les doigts de ma mémoire bleue
Dans les longues racines qui boivent les enfances.

Soulevé par l'espoir d'un silence mousseux
Sur les roseaux aigus j'enlace ma chanson
Acide, purpurine, aux mesures lactées
Et mes regards rosés par les vins du soleil.

Me voici revenu dans les culottes claires,
Les genoux flagellés par des herbes humides.
Un lourd corbeau s'envole, un garde-chasse siffle
La nuit craque soudain dans les chênes moussus.

La servante aux seins lourds m'appelle dans le val
Mais je souris muet aux complices de l'ombre
Et couché de mon long sous les nuages graves
Je cherche d'un doigt blanc les grands chemins du vent.

Edmond Dune / Révélations (1938)
Photo : Edmond Dune par Raymon Mehlen