« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LIED


 

 

La nature est gaie,

Le ciel rit dans l'eau,

En fleur est la haie,

Vert est le coteau.

 

Le joli village

Dont fument les toits

Se baigne au rivage

Et dort sous les bois.

 

La brise frissonne

Aux champs assoupis,

Et la moisson jaune

Courbe ses épis.

 

Blanche de poussière,

La route s'étend ;

Là-bas l'hôtelière

Sur sa porte attend !

 

Elle se rappelle

Un couple d'amants

Qui l'été, chez elle,

Venait tous les ans.

 

Elle croit entendre

Leur rire joyeux ;

Voir le regard tendre

Qu'échangeaient leurs yeux.

 

Sous sa verte ombrelle

Et son frais chapeau,

Comme elle était belle !…

Comme il était beau !

 

Aux bords des ravines

Ils marchaient le soir,

Ou sur les collines

Ils allaient s'asseoir.

 

Puis ils rentraient vite,

Souriants, heureux,

Dans leur petit gîte,

Doux nid d'amoureux.

 

Leurs voix confondues,

Harmonieux bruit,

Étaient entendues

Parfois dans la nuit.

 

Sous la porte close

S'échappaient, furtifs,

De leur lèvre rose

Les baisers trop vifs.

 

Leur étroite chambre

Est vide aujourd'hui ;

On touche à Novembre

L'été s'est enfui.

 

La brise est plus fraîche,

La brume revient.

Qui donc les empêche ?

Qui donc les retient ?

 

L'hôtelière en peine

Rêve tristement ;

Son cœur la ramène

Vers ce doux roman.

 

Ils n'ont fait connaître

D'eux que leur amour…

« Morte elle est peut-être ? »

Se dit-elle un jour.

 

Ah ! garde ton doute…

Les étés fuiront…

Jamais sur la route

Ils ne reviendront !

Louise Colet / Ce qu'on rêve en aimant
Illustration : Louise Colet par Courbet