« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Un temps à s'ouvrir les veines


 

 

A Renée Batilliot

 

dans un pays troué

j'écris mes famines

Avec le bleu de mon sommeil

j'élimine les ogres et les fous

dans un pays roux

je m'efforce Je m'échine

La mort gagne à tous les coups

Je meurs d'une œillade assassine

je meurs d'un songe de Chine

d'une lune égorgée par cent loups.

 

De la nuit

je transcris les messages violets et mauves

De la nuit

je sauve un enfant au col blanc

Il n'est pas lueur qui puisse

ici-bas

entre chien et loup

briser les flammes dures du supplice.

 

Sang

sang rauque

au creux de mes paumes

qui appelle et nomme en vain

Sang couleur de vin

couleur de nuit d'orage sur Brest

Sang où j'enracine désespérément le plus

puéril de mes gestes

à l'orée des pollens et des vagues îles

 

j'ai vu l'homme couché dans son manteau de

nuit

j'ai vu la femme humiliée

et l'enfant assis sur un tas d'ordures d'excréments

j'ai vu flamber l'orient

craquer les méridiens et tituber les aubes

j'ai vu l'amante déchirer douloureusement sa

robe

j'ai vu le père se taire auprès des cendres du

foyer

j'ai vu l'amour bafoué l'espoir insulté l'avenir

mis aux fers

je n'ai jamais renoncé à la lumière

au Feu sur la terre.

 

Rumeur du ressac à Roscoff

ton visage

et puis tes mains sur mes yeux

Le temps des otages et puis le temps des amants

l'aube de ceux qui savent caresser la vie sans

la déchirer

comme une belle précieuse étoffe.

 

Dans la paix des morts

nous enracinons des songes violents

dans leurs regards éteints des blés de fable

lèvent

Leur silence est une étrange sève

qui coule le long de nos veines

Déchiquetés nous aimons encore

 

La ville s'ouvre comme une étoile à cent branches

dans les rues les amants font les soleils

la lumière coule le long des façades

les bourreaux traquent les anges et les merveilles

et pourtant des cœurs battent au secret des

pierres

proclament la puissance des passions dans

la noirceur des guerres

 

De mes mains maladroites je bâtis une demeure

un poème d'ailes et d'eaux

pour que tu habites enfin un moment de Palestine

un versant d'évangile

je te cache au plus profond de la plus humble

fleur

sous l'ortie sèche qui flambe au milieu des cailloux

je n'ai que toi pour faire face à l'inconnu, aux

orages des enragés.

 

La caresse te donne la courbe des eaux

et ton visage se confond à la transparence des

oiseaux

 

l'amour te fait plus belle que dans la comptine

et ton corps saigne majestueux sur mes lèvres

enfantines

 

Les mots que je dis sont aussi vrais que la mort

et la pourriture

Je mens sans doute mais à travers eux tu touches

enfin l'azur.

 

le vin de tes veines

éblouit ma sieste

A ton premier geste

la terre tourne dans mon sang

Je te couvre d'un amour agreste

grand comme un champ de céréales

où en vain des armées nocturnes

tirent des rafales

sans jamais blesser ton visage

qui est une étoile pure bercée par les vents du sud.

 

Marthe au miroir s'interroge

— Où est l'amant de minuit

Dans la nuit noire où je loge

j'écoute sa voix de bête bleue

Je veux crier mais les murs sont hauts

Et le vent nourrit des chiens gras

L'amour est une mare empoisonnée

où deux corps glissent en un dialogue de silence.

André Laude / Un temps à s'ouvrir les veines (extrait)