Un temps à s'ouvrir les veines
Par domcorrieras, le vendredi 18 février 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
A Renée Batilliot
dans un pays troué
j'écris mes famines
Avec le bleu de mon sommeil
j'élimine les ogres et les fous
dans un pays roux
je m'efforce Je m'échine
La mort gagne à tous les coups
Je meurs d'une œillade assassine
je meurs d'un songe de Chine
d'une lune égorgée par cent loups.
De la nuit
je transcris les messages violets et mauves
De la nuit
je sauve un enfant au col blanc
Il n'est pas lueur qui puisse
ici-bas
entre chien et loup
briser les flammes dures du supplice.
Sang
sang rauque
au creux de mes paumes
qui appelle et nomme en vain
Sang couleur de vin
couleur de nuit d'orage sur Brest
Sang où j'enracine désespérément le plus
puéril de mes gestes
à l'orée des pollens et des vagues îles
j'ai vu l'homme couché dans son manteau de
nuit
j'ai vu la femme humiliée
et l'enfant assis sur un tas d'ordures d'excréments
j'ai vu flamber l'orient
craquer les méridiens et tituber les aubes
j'ai vu l'amante déchirer douloureusement sa
robe
j'ai vu le père se taire auprès des cendres du
foyer
j'ai vu l'amour bafoué l'espoir insulté l'avenir
mis aux fers
je n'ai jamais renoncé à la lumière
au Feu sur la terre.
Rumeur du ressac à Roscoff
ton visage
et puis tes mains sur mes yeux
Le temps des otages et puis le temps des amants
l'aube de ceux qui savent caresser la vie sans
la déchirer
comme une belle précieuse étoffe.
Dans la paix des morts
nous enracinons des songes violents
dans leurs regards éteints des blés de fable
lèvent
Leur silence est une étrange sève
qui coule le long de nos veines
Déchiquetés nous aimons encore
La ville s'ouvre comme une étoile à cent branches
dans les rues les amants font les soleils
la lumière coule le long des façades
les bourreaux traquent les anges et les merveilles
et pourtant des cœurs battent au secret des
pierres
proclament la puissance des passions dans
la noirceur des guerres
De mes mains maladroites je bâtis une demeure
un poème d'ailes et d'eaux
pour que tu habites enfin un moment de Palestine
un versant d'évangile
je te cache au plus profond de la plus humble
fleur
sous l'ortie sèche qui flambe au milieu des cailloux
je n'ai que toi pour faire face à l'inconnu, aux
orages des enragés.
La caresse te donne la courbe des eaux
et ton visage se confond à la transparence des
oiseaux
l'amour te fait plus belle que dans la comptine
et ton corps saigne majestueux sur mes lèvres
enfantines
Les mots que je dis sont aussi vrais que la mort
et la pourriture
Je mens sans doute mais à travers eux tu touches
enfin l'azur.
le vin de tes veines
éblouit ma sieste
A ton premier geste
la terre tourne dans mon sang
Je te couvre d'un amour agreste
grand comme un champ de céréales
où en vain des armées nocturnes
tirent des rafales
sans jamais blesser ton visage
qui est une étoile pure bercée par les vents du sud.
Marthe au miroir s'interroge
— Où est l'amant de minuit
Dans la nuit noire où je loge
j'écoute sa voix de bête bleue
Je veux crier mais les murs sont hauts
Et le vent nourrit des chiens gras
L'amour est une mare empoisonnée
où deux corps glissent en un dialogue de silence.
André Laude / Un temps à s'ouvrir les veines (extrait)