« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PROVINCIA DESERTA


 

 

À Rochecoart,

Là où les collines partent

            en trois directions,

Trois vallées, où serpentent les routes,

Bifurquent vers le sud et le nord,

Il est un lieu, sous les arbres… gris de lichen.

C'est là que j'ai marché,

            pensant au passé.

À Chalais,

            il est une tonnelle,

Les vieux retraités, les vieillardes protégées

Y ont accès,

            c'est charité.

J'ai grimpé sur de vieilles poutres,

            et tout en bas j'ai vu la Dronne,

Ses eaux fleuries de nénuphars.

À l'est va la route,

            à l'est, il y a Aubeterre

et un vieux bavard à l'auberge.

Je les connais, les routes du cru :

Mareuil au nord-est,

            La Tour,

Près de Mareuil, il y trois donjons,

Et une vieille,

            heureuse d'attendre Arnaut,

De me prêter des vêtements secs.

 

Je suis entré

            à pied dans Périgord,

J'ai vu les hautes flammes bondissantes des torches

Qui peignaient de feu la façade de l'église ;

Entendu, dans le noir, les fusées du rire,

Regardé, vers l'autre rive,

            le haut monument

Et les longs minarets, et les colonnes blanches.

Je suis allé à Ribeyrac

            et à Sarlat,

J'ai monté des escaliers branlants, entendu le nom de Croy,

Marché sur les traces anciennes d'En Bertran,

Vu et Narbonne et Cahors et Châlus

Et Exideuil, la si bien construite.

 

Et j'ai dit :

            « Ici, un tel a marché.

Ici, Cœur de Lion fut frappé.

            Ici, on a bellement chanté.

Ici, un homme a pressé le pas.

            Ici, gisait cet autre, cherchant son souffle. »

Depuis Hautefort, j'ai regardé vers le sud,

            j'ai pensé à Montaignac, là-bas, au sud.

À Rocafixada, je me suis étendu,

            les yeux à hauteur du couchant,

J'ai vu descendre la nappe de cuivre

            qui teignait les montagnes,

Et les champs, pâle, et clairs comme l'émeraude,

ET les pics et les aiguilles, et les châteaux au loin.

Et j'ai dit : « Par là passaient les chemins anciens.

Les hommes ont traversé telle et telle vallée

Étroite, aux murailles rapprochées. »

J'ai vu Foix, sur son rocher, et Toulouse,

            et Arles, tant changée,

J'ai vu la Dorata en ruine,

            Et j'ai dit :

« Riquier ! Guido. »

            J'ai pensé à la seconde Troie,

À un lieu perdu de l'Auvergne :

Deux hommes tirent à pile ou face, l'un garde le château,

L'autre s'en va chanter sur les chemins.

            Il chantait une femme,

Et à son chant Auvergne s'est levée ;

            Le Dauphin l'a soutenu.

« Le château à Austors ! »

            « Peire a gardé le chant —

Bel homme, ma foi, et bien plaisant. »

            Il a remporté la dame,

L'a arrachée aux autres, pour lui seul, l'a gardée

Par-devers lui, contre la force des

            armes.

Ainsi finit l'histoire.

Cet âge s'en est allé ;

Et Peire de Maensac n'est plus.

J'ai marché sur ces routes ;

J'ai pensé à eux, vivants.

Ezra Pound / Sur les pas des troubadours en pays d'oc