« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ÉLÉGIE TROISIÈME


 

 

Ce pays a la fraîcheur molle des bords des eaux.

Les chemins s'enfoncent obscurément, noirs de mousse,

vers des épaisseurs bleues pleines d'ombre d'amour.

Le ciel est trop petit sur des arbres trop hauts.

C'est ici que je viens promener ma tristesse,

chez des amis et que, lentement, au soleil,

le long des fleurs je m'adoucis et je me traîne.

Ils s'inquiètent de mon cœur et de ma peine,

et je ne sais pas trop ce qu'il faut leur répondre.

 

Peut-être, quand je serai mort, un enfant doux

se rappellera qu'il a vu passer dans l'allée

un jeune homme, en chapeau de soleil, qui fumait

sa pipe doucement dans un matin d'Été.

 

Et toi que j'ai quittée, tu ne m'auras pas vu,

tu ne m'auras pas vu ici, songeant à toi

et traînant mon ennui aussi grand que les bois…

Et d'ailleurs, toi non plus, tu ne comprendrais pas,

car je suis loin de toi et tu es loin de moi.

Je ne regrette pas ta bouche blanche et rose.

Mais alors, pourquoi est-ce que je souffre encore ?

 

Si tu le sais, amie, arrive et dis-le moi.

Dis-moi pourquoi, pourquoi lorsque je suis souffrant,

il semble que les arbres comme moi soient malades ?

Est-ce qu'ils mourront aussi en même temps que moi ?

Est-ce que le ciel mourra ? Est-ce que tu mourras ?

Francis Jammes / Le Deuil des primevères