« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Oui ou Non


 

 

Les touchantes rumeurs des printemps rétamés par le dernier

     sang de l'avenir

Auront beau chanter sur le bout des ongles,

Sur les yeux de l'eau vive,

Sur les genoux enchantés,

Sur les flancs des murmures

Et les talons sans soleil,

La faiblesse pleine de mousse et les abandons des nuits de

     roses

Nageant dans la sueur des paumes et la gelée des tempes

Pourra mettre le front et le cœur dans la poussière et les

     frondaisons

Comme des étoiles dans un vase,

O larmes des armes,

O douces lèvres des chants, ô vagues des présages,

O mon image dans le miroir abeilles du sommeil,

Je n'en aurai pas moins une fois pour toutes

Et toutes pour une,

Je n'en aurai pas moins nourri hors des flots plus gras que le

     bonheur humain

Le grand lion de platine et de plomb insensible aux déserts

     de la lassitude,

Le lion sans lionne de la solitude,

Le lion sans passé et sans avenir,

Hors des sables des rosées des comètes des sirènes,

Hors des nombres, des problèmes, des roses-des-vents,

Hors de mon ombre,

Hors du monde,

Un jour, mais y aura-t-il un jour ?

Le monde sera-t-il le monde, ô descente de lit,

Lion crevé,

Une tombe pour les autres, voilà ce que je serai,

Et dedans un à un les pas du lion entassés sous les rires des

     grands vampires,

Plus rien,

Rien.

Image, ô moi qui me pousse devant moi comme un parasol

     et une consolation,

Moi qui ai voulu assassiner et voler, détruire et manger,

     comme un gibier faisandé

Cette beauté de l'ordure, cette charogne de l'ordre,

Qui sera le dernier mot et la dernière vengeance,

Monde ou ma haine ?

De celui qui a le cou sous le couperet

Et voit encore se gonfler le gosier de la tourterelle,

Et de la terre pourrie sous le ciel sordide

Quel est le vainqueur aux palmes et aux guirlandes ?

Le dernier non sera-t-il entre les lèvres noires comme le oui

     du feu ?

Que sais-je encore, ô révolte,

Grandes eaux à combler le temps

Mon amour et mes rêves.

Georges Ribemont-Dessaigne / in "raison d'être" N° 7 , juillet 1930