« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CONTE


 

 

I

Passés les temps de pluie où je crache et me mouche,

Embusque en vain mes doigts de pied sans voir de mouches ;

Où bâillant au plafond le meilleur de l'hiver,

Je tire du tabac des anneaux de fumée,

Et les guettant au vol j'expectore à travers,

Ou rêve aux papillons la fenêtre fermée.

 

II

Le vent dans le jardin joue avec le jet d'eau,

Et glissant sur mon sein balance les rideaux ;

Chaque fleur est ardente à fleurir, ô poète !

Sur mes lèvres des vers passent et se défont

Cette nuit je suis seul, la lune sur ma tête ;

Muse ! le monde dort et mon cœur est profond.

 

III

Hélas ! le ciel plus pâle annonce le soleil,

Et ce monde a percé ses voiles de sommeil ;

Le matin qui sourit dormait aux bras de Flore,

Il abreuve déjà le feuillage dormant.

Que dirai-je du jour après la belle aurore ?

J'ai pour haïr la vie adoré le moment.

 

IV

Suivrai-je d'un beau train l'aventureuse marche ?

Il traverse les ponts aux caravanes d'arches,

A l'aube, les forêts et les blés familiers,

Et rêve à l'oasis, la gare au ciel de verre,

Dans le buisson des rails qu'il croise par milliers,

Où traînant son nuage il roule son tonnerre.

 

V

On m'a dit qu'un héros, Don Juan ou Lara,

Forçait tout acheteur, oui, mais ! qui m'aidera,

Pour m'en débarrasser, prisonnier des corsaires,

A le faire mourir ou le vendre au marché ?

Après l'avoir trouvé, le perdre est nécessaire

Et d'en inventer un me voit trop empêché !

 

 

Sans suite, sauf quand numéroté.

 

0

La lumière s'est faite et l'homme s'est levé ;

J'écoute dans la rue, aux bosses des pavés,

Les chars retentissants secouer leurs ferrailles,

Les chevaux agiter mille grelots charmeurs,

Et les tramways, au loin, balayer les murailles,

Pareils à la bourrasque, en d'immenses rumeurs.

 

I

A vous mon être, à vous mes dons orientaux,

Alpes dont les sommets sont de vastes créneaux,

Et monts bouleversés sous un ciel pacifique,

Où l'aurore, changeant la robe des glaciers,

Darde pour réfléchir les flammes magnifiques,

Aux forges de juillet les neiges de janvier !

 

II

Le taureau tout un jour, au brûlant pâturage,

A rêvé pour sa soif la fraîcheur d'un nuage

Et triste sur le soir, énorme et somnolent,

Il se tient debout, et, plainte inarticulée,

Regarde avec lourdeur se voiler le Mont Blanc,

Et beugle infiniment à travers la vallée.

 

Avant-dernier

Je sais que vous direz, me cherchant au poème :

Encore cet enfant, hélas ! toujours le même,

Partout ce cœur haineux, gonflé comme un crapaud !

Evidemment, bien-sûr, que le remord me pèse ;

Mais songez au serpent qui seul change de peau,

Et prenez note aussi de la saison mauvaise !

 

Dernier

Sachez qu'en cet hiver, froid à l'expansion,

Je travaillai deux mois sans inspiration,

La sphère du soleil devenait une orange,

Si le ciel était grand je le faisais petit ;

Il me prit pour le coup une fureur étrange :

Je me frappai le front, et ce conte en sortit.

 

Dernière heure : je m'aperçois qu'il y a des vers moches.

Arthur Cravan / Premiers poèmes
Illustration : Le boxeur-poète, par Francis Picabia. Crayon et aquarelle sur papier - env. 1924.