« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

pour l'arrière-saison


 

 

A Mario et Yo Prassinos

 

Pour la parole matinale

et son goût musclé de naissance

même s'il se brise après la lumière

j'ouvrirais moi-même la fleur des poisons

où commence le dernier jour.

 

 

 

Pour l'arrière-saison

faites dresser les mâts

que les chapeaux de paille invitent

à l'insolente résurrection des fleurs

que la règle s'insurge

que la vertu soit délétère.

 

Fuirons-nous jamais ce tapis de poivre où nos

     [pieds

bondissaient d'illusion en illusion ?

 

Ce sera le grand écart rendu au cercle de la

    [perpétuité.

 

De deux points de la ville

nous retournerons dans les couloirs verts

pèlerins esquivant le but.

 

L'eau y a inventé, secret et indélébile

le reflet de ceux qui l'ont cherchée un jour

sans consentir à la reconnaître.

 

Pour la mort de l'été

fermez les rideaux sur les privilèges.

 

Ce sera l'accolade

la permission sans gage

le tourment huilé.

 

Repassez les faveurs, avivez les tentures.

 

Des roses

calquées sur nos lèvres

pendront des fenêtres mais du ciel, contre l'oubli

des robes mutilées.

 

 

Toute porte est encore à franchir, murée.

De l'autre côté j'ai su parfois

cueillir la pluie fidèle.

 

Au réveil

on envoyait le plateau la nappe et les baies

    [fendues.

Face à face sources et sources

les pulpes entre elles inopérantes

et pures

de s'émouvoir au seul échange des eaux.

 

— Dédain de la plage où tu te poses

clouant des sillages de paon —

 

Moulu le grain le pain approche.

 

Si peu désert dans sa neige cendreuse

un four promis au bois dont le sang bouge

    [encore.

Un trop-plein du cœur surpris reconduisait la

    [hâte de l'envol

et tu fuyais, dense mordue

fruit de ronces dans ta raideur parenthèse

où bâillonner l'amande au bois trop doux.

Ailleurs encore, l'éponge chargeait vomissait

et dans le bouillon des foires.

 

Tout de très loin même étranger

ramenait au point où se mariaient les races.

Jusqu'aux combles épuisés

l'érection.

 

La rampe alors, lisse

la pléthore du temps

les poumons plus larges que l'espace.

 

Vue du planeur et bienvenue, la foule.

Chacun de tes pas grignotait l'innocence.

 

Et pourquoi maintenant ?

 

Est-ce une pierre qui se casse dedans

un arbre qui s'effeuille ?

 

Saison, crue, éboulement ?

 

Un fil qui se dévide et se ponctue lui-même ?

Mais comment soudoyer l'automne

la rage des eaux ?

 

D'où offenser le roc

susciter le germe ?

 

Tu ruineras l'ajour pour sonner à la crypte.

Le marbre sera semé.

 

Nageur, poisson maussade

ta peau seule contre le paysage invisible.

Dans cette obscurité où le rose languit

tu seras l'ébranleur la pioche

tu gauleras le chêne

et le front du passeur.

 

Ennui la parole tirée

de reconnaître tes rides dans le seau

comme dans les manteaux ces plis

que ton corps a gravés.

 

Cela aussi :

 

à force de peser, tes contours inscrits dans la

    [table

et rien à traire ou quelques signaux farouches.

 

Alors raser le champ, sommer l'oubli

perdre les morts dans le creux d'un voyage.

(Un temps je m'apposais aux caprices des murs

j'adoptais le dessein des sables

jusqu'à l'exil printanier

la stupeur souvent.)

 

Tu choisirais la proue d'un navire

parmi les figures au mouillage.

 

Une voix longue bouffante

enchaînée solide et noire dans son aire de craie.

 

Ouvrir, regarder,

 

Ce scintillement logé au berceau des voiles

quel attrait pour l'aiguille sans mâle

mais piller et revivre s'opposent.

 

Ecouter.

 

L'amorce comme un lièvre n'est pas dans la fable

même blessée à la gomme du vent.

 

Fermer les yeux.

Gisèle Prassinos / pour l'arrière-saison (extraits)
Photo : Gisèle Prassinos lisant ses poèmes au groupe surréaliste - Man Ray - 1935
De gauche droite : Mario Prassinos, André Breton, Henri Parisot, Paul Eluard, Benjamin Péret, René Char, Gisèle Prassinos.
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris.