pour l'arrière-saison
Par domcorrieras, le dimanche 21 mars 2021 - Poèmes & chansons - lien permanent
A Mario et Yo Prassinos
Pour la parole matinale
et son goût musclé de naissance
même s'il se brise après la lumière
j'ouvrirais moi-même la fleur des poisons
où commence le dernier jour.
Pour l'arrière-saison
faites dresser les mâts
que les chapeaux de paille invitent
à l'insolente résurrection des fleurs
que la règle s'insurge
que la vertu soit délétère.
Fuirons-nous jamais ce tapis de poivre où nos
[pieds
bondissaient d'illusion en illusion ?
Ce sera le grand écart rendu au cercle de la
[perpétuité.
De deux points de la ville
nous retournerons dans les couloirs verts
pèlerins esquivant le but.
L'eau y a inventé, secret et indélébile
le reflet de ceux qui l'ont cherchée un jour
sans consentir à la reconnaître.
Pour la mort de l'été
fermez les rideaux sur les privilèges.
Ce sera l'accolade
la permission sans gage
le tourment huilé.
Repassez les faveurs, avivez les tentures.
Des roses
calquées sur nos lèvres
pendront des fenêtres mais du ciel, contre l'oubli
des robes mutilées.
Toute porte est encore à franchir, murée.
De l'autre côté j'ai su parfois
cueillir la pluie fidèle.
Au réveil
on envoyait le plateau la nappe et les baies
[fendues.
Face à face sources et sources
les pulpes entre elles inopérantes
et pures
de s'émouvoir au seul échange des eaux.
— Dédain de la plage où tu te poses
clouant des sillages de paon —
Moulu le grain le pain approche.
Si peu désert dans sa neige cendreuse
un four promis au bois dont le sang bouge
[encore.
Un trop-plein du cœur surpris reconduisait la
[hâte de l'envol
et tu fuyais, dense mordue
fruit de ronces dans ta raideur parenthèse
où bâillonner l'amande au bois trop doux.
Ailleurs encore, l'éponge chargeait vomissait
et dans le bouillon des foires.
Tout de très loin même étranger
ramenait au point où se mariaient les races.
Jusqu'aux combles épuisés
l'érection.
La rampe alors, lisse
la pléthore du temps
les poumons plus larges que l'espace.
Vue du planeur et bienvenue, la foule.
Chacun de tes pas grignotait l'innocence.
Et pourquoi maintenant ?
Est-ce une pierre qui se casse dedans
un arbre qui s'effeuille ?
Saison, crue, éboulement ?
Un fil qui se dévide et se ponctue lui-même ?
Mais comment soudoyer l'automne
la rage des eaux ?
D'où offenser le roc
susciter le germe ?
Tu ruineras l'ajour pour sonner à la crypte.
Le marbre sera semé.
Nageur, poisson maussade
ta peau seule contre le paysage invisible.
Dans cette obscurité où le rose languit
tu seras l'ébranleur la pioche
tu gauleras le chêne
et le front du passeur.
Ennui la parole tirée
de reconnaître tes rides dans le seau
comme dans les manteaux ces plis
que ton corps a gravés.
Cela aussi :
à force de peser, tes contours inscrits dans la
[table
et rien à traire ou quelques signaux farouches.
Alors raser le champ, sommer l'oubli
perdre les morts dans le creux d'un voyage.
(Un temps je m'apposais aux caprices des murs
j'adoptais le dessein des sables
jusqu'à l'exil printanier
la stupeur souvent.)
Tu choisirais la proue d'un navire
parmi les figures au mouillage.
Une voix longue bouffante
enchaînée solide et noire dans son aire de craie.
Ouvrir, regarder,
Ce scintillement logé au berceau des voiles
quel attrait pour l'aiguille sans mâle
mais piller et revivre s'opposent.
Ecouter.
L'amorce comme un lièvre n'est pas dans la fable
même blessée à la gomme du vent.
Fermer les yeux.
Gisèle Prassinos / pour l'arrière-saison (extraits)
Photo : Gisèle Prassinos lisant ses poèmes au groupe surréaliste - Man Ray - 1935
De gauche droite : Mario Prassinos, André Breton, Henri Parisot, Paul Eluard, Benjamin Péret, René Char, Gisèle Prassinos.
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris.