« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Une odeur nocturne


 

 

 

     Une odeur nocturne, indéfinissable et qui m'apporte un doute obscur, exquis et tendre, entre par la fenêtre ouverte dans la chambre où je travaille..

     Mon chat guette la nuit, tout droit, comme une cruche.. Un trésor au regard subtil me surveille par ses yeux verts…

     La lampe fait son chant léger, doux comme on l'entend dans les coquillages. Elle étend ses mains qui apaisent. J'entends les litanies, les chœurs et les répons des mouches dans son aréole. elle éclaire les fleurs au bord de la terrasse. Les plus proches s'avancent timidement pour me voir, comme une troupe de nains qui découvre un ogre..

     Le petit violon d'un moustique s'obstine. On croirait qu'un soliste joue dans une maison très lointaine… Des insectes tombent d'une chute oblique et vibrent doucement, sur la table. un papillon blond comme un fétu de paille se traîne dans la petite vallée d'or de mon livre..

     Une horloge pleure. Des souvenirs dansent une ronde enfantine..

     Le chat se fend à fond. son nez dessine en l'air quelque vol invisible.. Une mouche a posé ses ciseaux dans la lampe..

     Des bruits de cuisine s'entassent dans une arrière-cour. des voix contradictoires jouent à pigeon-vole. Une voiture démarre. Un train crie dans la gare prochaine. Une plainte lointaine et longue s'élève…

     Et je pense à quelqu'un que j'aime, et qui est si petit d'être si loin, peut-être, par delà des pays noirs, par delà des eaux profondes.. Et son regard m'est invisible…

Léon-Paul Fargue / Poèmes