« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Je vais laisser courir la plume


 

 

Je vais laisser courir la plume, j'ai tellement de travail postal, c'est vrai. Mais me suis promis de ne pas me laisser dévorer par cette besogne. Donc, salut et fraternité. Je t'envoie des tonnes de roses. Il y en a ici ! c'est incroyable, mais vrai, des rosiers qui grimpent jusqu'aux cheminées, j'espère en voir un, audacieux, piquer les pattes du coq, là-haut, sur le clocher.

La lumière est très douce, la Sarthe fait, aujourd'hui comme hier, son petit bonhomme de chemin. Au crépuscule (je ne rate pas un soir), je vais souhaiter le « bonsoir » à la rivière. Oh, ce « chemin qui marche » !

Oui. Les poissons moucheronnent à cette heure-là, c'est des ploufs et des ronds un peu partout. Et les grands peupliers parlent parlent, chuchotent plutôt. Et les nuages promènent, lentement, leur ventre cuivré.

 

Paysage paisible d'Ecouflant ! Mon cœur bientôt se calme et je le sens heureux. L'air humide, et à cette époque de l'année il sent le goudron, me fait rêver. J'imagine (comme c'est facile) la mer. Je voudrais passer deux jours et deux nuits, seul, les pieds dans l'océan, la tête au soleil ou dans la nuit étoilée. Tout nu, Mougin, sur la grève. Pourquoi pas ? Je n'aurais pas profité, moi, dans ma vie terrestre, des belles choses naturelles. Des choses qui sont à moi aussi, à moi les forêts vierges et les digitales et les roses du matin ! Le monde vivant, chaud et fraternel. Oh, grimper sur l'Himalaya ! Je me sens capable de naviguer dans les mers du Sud. Je devine un petit café à Amsterdam où trinquer avec un inconnu barbu fait croire au paradis terrestre. Si l'homme a les yeux bleus, c'est un ange ! Une belle barbe rousse, c'est un revenant !… Charlemagne avait une barbe énorme où pouvait nicher le berrichon, ce minuscule oiseau angevin porte-bonheur des maisons et des étables. L'autre jour, un paysan m'a montré un nid fait, oui, dans une vieille pelote de ficelle. Je découvre tous les jours des spectacles émouvants, surprenants.

Comme la vie est courte. En mourant je ne saurai rien d'ici-bas.

Jules Mougin / La Grande Halourde - Au jour le jour