« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le cerveau des baleines





Lorsque je traversais la mer des Caraïbes

Sur un trois-mâts pourri qui ne craignait plus rien,

J'ai vu sortir de l'eau des images terribles,

Anges tout ruisselants aux mâchoires de chien.

 

Je hurlais à la mort en passant les tropiques.

Face à la Croix du Sud se reflétant sur l'eau

Le coq allait pêcher des poissons électriques

Et les autres braillaient des refrains archi-faux.

 

Nous allions visiter le cerveau des baleines

Et nous en revenions avec des yeux tout ronds.

La tête endimanchée de rengaines foraines

Nous revenions à bord à grands coups d'avirons.

 

Le tafia qu'on buvait ne valait pas tripette,

Mais pour se consoler on en buvait beaucoup

Pour se remplir de feu la carcasse et la tête,

Et les enfers s'ouvraient après le dernier coup.

 

L'enfer était pour nous ce jardin des Sargasses

Où le jour et la nuit trissaient à l'infini,

Piégeant avec douceur la quille des barcasses.

N'allez pas y chercher les mirages promis,

 

Le mirage naissait du cerveau des baleines

Qui s'en vont les chercher au fond des océans…

Ainsi j'ai découvert la vie calme et sereine

En allant visiter le cerveau des géants.

Bernard Dimey / Je ne dirai pas tout
Illustration : Dominque et Bernard Dimey (père et fille) - photo Dominique Queneville