« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

TA VILLE


 

 

 

     Le bord du cadre est fait des bois de chênes des collines et du marbre bleu des Pyrénées. Un clocher assez proche coupe la vue d’un mamelon éloigné qui s’isole en s’avançant dans la plaine. Tout ce qui, comme ce mamelon, est en relief en dehors de l’horizon, semble couché sur les damiers de blés, de maïs, de vignes et d’herbes : les carènes des anciennes redoutes, les avenues et les places, le vieux pont pareil au pont du jeu de l’oie et la tour du château qui, dans un nuage d’arbres, ressemble à une façon de dessin. Seules demeurent toujours debout les Pyrénées, car jamais elles n’abandonnent le ciel si bleu qu’il est solide.

     En amont, le gave est une nappe qui forme des îlots ombreux, et, sur les cailloux, des vaguettes qui battent de l’aile ensemble comme un vol de pigeons fondu dans la lumière. En aval, le roc nu encaisse l’eau couleur d’olive et s’avance au milieu et émerge ça et là comme une troupe de bêtes d’avant le déluge.

     Les maisons des vieux quartiers chaussées de galets, vêtues de jardins pareils à des châles de l’Inde vus à l’envers, coiffées de toits qu’empanachent les fumées, comme de plumes d’autruches, regardent les passants à travers leurs lunettes carrées et fixent à leurs fichus de chaux blanche, garnis de balcons à jour, des bouquets de géraniums et des colliers de piments rouges.

     Tel est le tableau, ô Bernadette, où tu figures au premier plan parce que sans cela tu paraîtrais trop petite !

Francis Jammes / Ma fille Bernadette (1910)