« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Midi à peine


 

 

Le tilleul verdoie en silence dans l’été ouvert,

reléguée loin des villes, la lune diurne vibre

d’un éclat mat. Il est midi déjà,

déjà jaillit la gerbe dans la fontaine,

déjà s’élève parmi les débris

l’aile écorchée de l’oiseau du conte,

et la main déformée par le jet de pierre

s’enfonce dans le blé en éveil.

 

Là où le ciel d’Allemagne noircit la terre,

son ange décapité cherche une tombe pour la haine

et te tend l’écuelle du cœur.

 

Une  poignée de douleur se perd en passant la colline.

 

Sept ans plus tard

cela te revient à l’esprit,

à la fontaine devant la porte,

n’y plonge pas trop le regard,

tes yeux fondent en larmes.

 

Sept ans plus tard,

dans une maison des morts

les bourreaux d’hier

vident le gobelet d’or.

Tes yeux pourraient sombrer.

 

Il est midi déjà, dans la cendre

le fer se tord, sur l’épine

est hissé le drapeau, et dans le roc

d’un rêve très ancien l’aigle

est à jamais forgé.

 

Seule l’espérance aveuglée est tapie dans la lumière.

 

Défais ses liens, conduis-la

au bas de la halde, mets-lui

la main sur l’œil, qu’aucune ombre

ne la dessèche !

 

Là où la terre d’Allemagne noircit le ciel,

le nuage cherche des mots et remplit le cratère de silence

avant que l’été ne le perçoive à travers la pluie éparse.

 

L’ineffable va, dit tout bas, de par les champs :

il est midi déjà.

Ingeborg Bachmann / Toute personne qui tombe a des ailes (Poèmes 1942-1967)
traduit de l’allemand (Autriche) par Françoise Rétif