« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

BALLADE 72


 

Ballades, chansons et complaintes

Sont pour moi passées dans l’oubli :

Le tracas et plus d’un souci

M’ont tenu longtemps endormi.

Et pourtant, contre l’inquiétude,

J’éprouverai mon aptitude

À rimer comme je savais.

Je ferai mon possible au moins,

Bien que sois persuadé

Que je vais trouver mon langage

Tout rouillé par le Nonchaloir.

 

Les mots du plaisir sont éteints

En moi, que l’âge a rendu sot ;

J’essaierai d’atteindre mon but,

Sans plus compter sur le beau style :

Aussi je prie ceux qui m’ont su

Causeur, quand autrefois j’étais

Spontané, jeune et plein de joie,

Qu’ils veuillent bien m’en excuser.

Jamais je ne me suis trouvé

Si lourd : je suis en vérité

Tout rouillé par le Nonchaloir.

 

Aux amants les mots colorés,

Le langage élégant et frais.

Plaisir, dont ils sont familiers,

Parle à leur place ; dans ce camp

J’ai été ; ce n’est plus le cas.

Du beau style, alors, j’en trouvais

Bon marché tant que je voulais.

J’ai bien dépensé mon savoir :

Le peu que j’aurais épargné

Est, pour être mis à l’épreuve,

Tout rouillé par le Nonchaloir.

 

Envoi

 

Je devrais prendre ma retraite,

Maus on dirait que je me rends

Sans coup férir, car Bon Espoir

M’a dit que je rajeunirai :

Aussi je fourbirai mon cœur

Tout rouillé par le Nonchaloir.

Charles d’Orléans / En la forêt de longue attente et autres poèmes