« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

SINGULIÈRE FAVEUR DEMANDÉE PAR UN FOU À UN ROI


 

 

  Un roi se rendit auprès d’un fou au cœur troublé et lui dit : « O fou ! demande-moi une faveur.

  « Puisque le soleil est ma couronne, et le ciel mon coursier, pourquoi ne me demandes-tu pas quelque chose, afin que je te l’accorde ? »

  Le fou répondit au roi : « O toi, qui reposes dans les délices ! éloigne de moi les mouches, pendant cette seule journée;

  « Car ces bestioles se sont rassemblées en tel nombre sur moi, qu’on dirait qu’elles n’ont point trouvé d’autre homme au monde ! »

  Le roi lui répondit : « Cette affaire ne me regarde pas; les mouches ne me sont pas soumises et n’obéissent pas à mes ordres. »

  Le fou répliqua : « Alors, tu peux plier bagage; car tu es cent fois plus impuissant que moi !

  « Puisque tu es incapable de te faire obéir d’une seule mouche, va ! tu devrais être honteux de ta royauté. »

  Et toi, jusqu’à quand tourneras-tu autour des seigneurs et des princes ? Cherche plutôt, virilement, à éviter ces gens-là.

  Tu vois bien cette multitude d’hommes continuellement pris dans les difficultés, à cause des affaires mondaines;

  Les voilà absorbés et plongés, tous tant qu’ils sont, dans les soucis; ils entassent une à une pièce d’or sur pièce d’or !

Attâr (Fèrîd-ed-Dîn ou Farid al-Din Attar) de Nichâpour / Asrár-námè (Le livre des secrets)
Illustration : La Conférence des oiseaux peinte par Habib Allah.