A UNE KALMOUKE
Par domcorrieras, le vendredi 2 septembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Adieu, ma Kalmouke chérie !
Bouleversant tous mes projets,
Selon ma louable habitude,
Au dernier moment j'ai failli
Me lancer à travers les steppes
Derrière ta Kibitka...
Certes, tes yeux sont fort bridés,
Et ton nez plat, ton front trop large ;
Tu ne sais point baragouiner
Le français ; tu ne songes pas
A gainer tes jambes de soie ;
Tu ignores totalement
L'art de chipoter, à l'anglaise,
Un toast devant une théière ;
« Saint-Mars » ne t'enthousiasme pas ;
Tu ne portes pas sur Shakespeare
De jugements à la légère ;
Tu ne prends point des airs profonds
En ne pensant à rien du tout ;
Tu ne roucoules pas « Ma dov'e »
Depuis le matin jusqu'au soir ;
Et tu serais bien incapable,
Au bal, de danser le galop...
Baste ! Pendant qu'on attelait,
Une demi-heure, tout juste
Tes yeux, ta beauté sauvageonne
Ont ravi mon coeur et mes sens...
Amis ! Quand l'âme est spleenétique,
Trouver l'oubli dans un salon,
Dans une loge de théâtre,
— Ou dans un chariot de nomades —
De grâce, n'est-ce pas tout un ?...
(1829)
Alexandre Pouchkine
Traduit du russe par François Thurel.