Hubert Selby Junior, le 22 avril 2004
Par domcorrieras, le samedi 3 septembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Cubby est mort hier soir
en l’apprenant j’ai dû m’asseoir
J’ai senti la pression — ressenti l’impression
qu’on venait de me cogner dans le bide
Selby était
mon miracle
mon idole
mon modèle d’écrivain
mon mentor
mon manuel
C’est Selby qui m’a appris à écrire et répandre mes tripes
et ouvrir mon cœur sur le papier
et à éviter de devenir une bouche de plus
à la recherche d’un cri
Il y a des années
fraîchement décroché du whisky bon marché
j’avais suivi Cubby à travers L.A. dans sa tournée des
libraires
je l’avais carrément traqué
en attendant chaque fois qu’il ait fini de lâcher un
dernier autographe à l’issue de sa lecture publique et
de trimbaler son grand carton de bouquins jusqu’à sa
bagnole
Un jour enfin j’ai trouvé le cran de lui demander de
lire le manuscrit que je tenais à la main
ce gros tas de feuilles volantes rejeté — jugé
impubliable — par une bonne trentaine des plus
remarquables et brillantes andouilles au cerveau à
bulles sévissant dans les milieux new-yorkais de
l’édition
Et un beau soir deux mois plus tard je rentre chez
moi après avoir fourgué des bagnoles pendant
quatorze heures d’affilée
et quand j’ai pressé le clignotant
je reconnais sur mon répondeur
ce murmure essoufflé râpeux
et j’écoute le message que je vais repasser mille fois
jusqu’à usure complète de la bande…
Hé Dan Fante — ici Cubby
Cubby Selby
Dis donc — tu nous as pondu un bouquin incroyable là
Je vais te dire mon vieux il m’a touché au cœur et j’ai pas
pu le lâcher
et tout en le lisant j’arrêtais pas de gueuler à ton héros Bruno
« Oh non mec… fais pas ça !
Oh non mec… non non — ne lui dis pas ça — tu peux pas
dire ça… »
Je veux dire — bon Dieu quel bouquin !
Alors t’arrête pas d’écrire Fante
continue de créer cette magie
c’est génial
vraiment génial
t’y arriveras — je suis sérieux
Salut Fante à la prochaine
Et ainsi Selby
d’un coup de téléphone un seul
me transmit en héritage son courage d’écrivain
— ne pas renoncer
m’obstiner
à envoyer mes textes encore et encore
Ainsi parla Selby — Selby était mon Dieu
Les journaux peuvent raconter ce qu’ils veulent sur sa
mort
— où que l’on plante ses maigres os
je me contenterai de cligner des yeux
et de sourire
peut-être de lire une des citations punaisées au mur de
mon bureau
et la braise de nouveau rougeoiera dans mon cœur
et ma vie d’écrivain sera bien remplie
— tout ça à cause de toi Chubby
à cause
de
toi
Dan Fante / Bons baisers de la grosse barmaid