« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Depuis un si long temps que nous allions en Ouest

 

 

 

IX

     Depuis un si long temps que nous allions en Ouest, que savions-nous des choses
     périssables?.. Et soudain à nos pieds les premières fumées.

     — Jeunes femmes ! et la nature d’un pays s’en trouve toute parfumée :

     «.… Je t’annonce les temps d’une grande chaleur et les veuves criardes sur la dissipation des morts.
     Ceux qui vieillissent dans l’usage et le soin du silence, assis sur les hauteurs, considèrent les sables
     et la célébrité du jour sur les rades foraines;
     mais le plaisir au flanc des femmes se compose, et dans nos corps de femmes il y a comme un ferment de raisin noir, et de répit avec nous-mêmes il n’en est point.

     «.… Je t’annonce les temps d’une grande faveur et la félicité des feuilles dans nos songes.
     Ceux qui savent les sources sont avec nous dans cet exil ; ceux qui savent les sources nous diront-ils au soir
     sous quelles mains pressant la vigne de nos flancs
    nos corps s’emplissent d’une salive ? (Et la femme s’est couchée avec l’homme dans l’herbe ; elle se lève, met ordre aux lignes de son corps, et le criquet s’envole sur son aile bleue.)

     «.… Je t'annonce les temps d’une grande chaleur, et pareillement la nuit, sous l’aboiement des chiens, trait son plaisir au flanc des femmes.
     Mais l'Etranger vit sous sa tente, honoré de laitages, de fruits. On lui apporte de l’eau fraîche
     pour y laver sa bouche, son visage et son sexe.
     On lui mène à la nuit de grandes femmes bréhaignes (ha ! plus nocturnes dans le jour !). Et peut-être aussi de moi tirera-t-il son plaisir. (Je ne sais quelles sont ses façons d’être avec les femmes.)

     «.… Je t’'annonce les temps d’une grande faveur et la félicité des sources dans nos songes.
     Ouvre ma bouche dans la lumière, ainsi qu’un lieu de miel entre les roches, et si l’on trouve faute en moi, que je sois congédiée ! sinon,
     que j’aille sous la tente, que j’aille nue, près de la cruche, sous la tente,
     et compagnon de l’angle du tombeau, tu me verras longtemps muette sous l’arbre-fille de mes veines... Un lit d’instances sous la tente, l'étoile verte dans la cruche, et que je sois sous ta puissance ! nulle servante sous la tente que la cruche d’eau fraîche ! (Je sais sortir avant le jour sans éveiller l'étoile verte, le criquet sur le seuil et l’aboiement des chiens de toute la terre.)

     Je t'annonce les temps d’une grande faveur et la félicité du soir sur nos paupières périssables…
     mais pour l’instant encore c’est le jour ! »
 

     — et debout sur la tranche éclatante du jour, au seuil d’un grand pays plus chaste que la mort,
     les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe.

 

Illustration : Saint-John Perse par Robert Petit-Lorraine (1961)