« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Étranger, dont la voile...

 

    

 

 

Étranger, dont la voile a si longtemps longé nos côtes (et l'on entend parfois de nuit le cri de tes poulies),
     Nous diras-tu quel est ton mal, et qui te porte, un soir de plus grande tiédeur, à prendre pied parmi nous sur la terre coutumière ?

     « Aux baies de marbre noir striées de blanches couvaisons
     « La voile fut de sel, et la griffe légère. et tant de ciel nous fut-il songe ?
     « Écaille, douce écaille prise au masque divin,
     « Et le sourire au loin sur l'eau des grandes lèpre interdites…

     « Plus libre que la plume à l'éviction de l'aile,
     « Plus libre que l'amour à l'évasion du soir,
     « Tu vois ton ombre, sur l'eau mûre, quitte enfin de son âge,
     « Et laisses l'ancre dire le droit parmi l'églogue sous-marine.

     « Une plume blanche sur l'eau noire, une plume blanche vers la gloire
     « Nous fit soudain ce très grand mal, d'être si blanche et telle, avant le soir…
     « Plumes errantes sur l'eau noire, dépouilles du plus fort,
     « Vous diront-elle, ô Soir, qui s'est accompli là ?

    « Le vent portait des hautes terres, avec ce goût d'arec et d'âtres morts qui très longtemps voyage,
     « Les Dames illustres, sur les caps, ouvraient aux feux du soir une narine percée d'or,
     « Et douce encore se fit la mer au pas de la grandeur,
     « La main de pierre du destin nous sera-t-elle encore offerte ?…

     « C'est la christe-marine qui sur vos grèves mûrissait
     « Ce goût de chair encore entre toutes chairs heureuses,
     « Et la terre écriée sur ses rives poreuses, parmi la ronce avide et les roses vives
     « De l'écume, nous fut chose légère et chose plus dispendieuse

     « Que lingerie de femme dans les songes, que lingerie de l'âme dans les songes. »

Saint-John Perse / Amers