« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

MUSIQUE APRÈS UNE LECTURE

 

 

 

Assez de mots, assez de phrases ! ô vie réelle,
Sans art et sans métaphores, sois à moi.
Viens dans mes bras, sur mes genoux,
Viens dans mon cœur, viens dans mes vers, ma vie.
Je te vois devant moi, ouverte, interminable,
Comme une rue du Sud béni, étroite et chaude,
Et tortueuse entre les maisons très haute, dont les
     faîtes
Trempent dans le ciel du soir, heurtés
Par des chauves-souris mou-volantes ;
Rue, comme un grand corridor parfumé
D'un Barrio del Mar dont la mer est en effet voisine,
Et où, dans la nuit calme, tout à l'heure,
Les serenos psalmodieront les heures…

Mais, ma vie, c'est toujours cette rue à la veille
Du jour de Saint-Joseph, quand des musiciens,
Des guitares sous leurs capes, donnent des sérénades :
On entendra, jusqu'au sommeil très doux, le bruit
Plus doux encore que le sommeil, des cordes et du bois,
Si tremblant, si joyeux, si attendrissant et si timide,
Que si seulement je chante
Toutes les Pepitas vont danser dans leurs lits.

Mais non !
Mon chant entrecoupé de cris ! mon chant à moi ! (Ce n'est pas toi, Amérique, tes cataractes, tes forêts
Où frémit la venue du printemps, ce n'est pas toi,
Grand silence des Andes prodigieux et solitaires,
Ce n'est pas vous, non, qui remplissez ce cœur
D'une harmonie indescriptible, où se mêlent
Une joie féroce et des sanglots d'orgueil !…)
Oh, que j'aille dans les lieux inhabités, loin des livres,
Et que j'y laisse rire et hurler
La bête lyrique qui bondit dans mon sein !

 

Valery Larbaud / Les poésies de A.O. Barnabooth