« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Aux enfants

 

 

 

Vous ne savez rien de notre temps,
Tout juste qu'au loin quelque part
Une guerre bat son plein,
Vous taillez dans le bois des épée, des boucliers et
     des lances,
Et, ravis, au jardin, jouez à la bataille,
Vous plantez des tentes,
Portez des brassards blancs à croix rouge.
Mais si mon plus cher désir a prise sur vous,
La guerre restera pour toujours
Une sombre légende,
Jamais au front vous ne serez,
Jamais vous ne tuerez
Et jamais ne vous enfuirez d'une maison en flamme.

Pourtant un jour vous devrez être guerriers
Et savoir ce jour-là
Que le souffle doux de cette vie,
La jouissance aimée de ces battements de cœur,
Ne sont qu'un apanage, et que votre sang charrie
Le passé, l'héritage des anciens,
Et l'avenir le plus lointain,
Que des hommes ont subi la violence, la souffrance,
     la mort
Pour défendre chaque cheveu de votre crâne.

Et vous devriez savoir que, dans son âme,
La noblesse a toujours été guerrière,
Y compris celle qui jamais n'a porté les armes,
Que chaque jour un combat et un destin vous attendent.
Ne l'oubliez pas !
Souvenez-vous du sang, des batailles, de la dévastation,
Sur lesquels repose votre avenir,
Et que le bonheur le plus simple se construit
Sur la mort et le sacrifice du nombre.

Alors vous embrasserez la vie avec plus d'ardeur
Et un jour plus tendrement la mort.

 

Hermann Hesse / C'en est trop - Poèmes 1892-1962
Traduit de l'allemand par François Mathieu
Photo : 471289119 - Photo: KEYSTONE / Martin-Hesse-Erben /Martin Hesse