« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

On m'effleure la main

 

 

 

     On m'effleure la main en restant près de moi — je recule un peu devant la page. Je lui parle.
     « Je connais ton corps, es-tu l'étreinte, la fuite légère, la fleur cachée sous la voix, le cœur ou la main de l'air ? Es-tu la solitude, la douleur, la poussière qui veut aller seule ? N'es-tu que silence dans cet ennui de toi-même qui ne se représente qu'une clarté à venir ? Le refuge ?
    Tu ne réponds pas. Tu es une enfant. Ta pupille me porte hors du voyage où nous périssons. »
     Rien n'émerge hors la matière blanche, pondérée, qui emprisonne l'œil, la peau, le sourcil. Je baisse les lèvres vers la parole. Y lève aussitôt un chant aigu, parfait, dont je réussis à reconnaître le centre, l'âme : on clame, on hurle, on récite, on miaule, on brame une géométrie de mots assemblés, de phonèmes apaisés dont il ne semble pas manquer un souffle.
     Cette nudité est froide, l'être s'échappe pour délivrer un espace qui ne dit rien, qui est l'espace où le livre meurt.

Dominique Sampiero / La vie pauvre - poèmes