« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA LIGNE D'HORIZON

 

 

 

I

La baie
bouton de mer

Cheval à la crinière d'écume
l'horizon dans la bouche le pris

Les coquillages sot des vitraux
de sons infinis
posés sur le sable univers broyé
Les poissons des otages étourdis

Là-bas autres salves
cris étouffés d'algues

Jeune fille
au parfum d'adieu
aux jardins dévastés
à perte de mouchoirs et de voiles
les mains en porte-voix

Siècles avec leurs béquilles
d'arbres morts leur ivresse
de branches reconquises

(les siècles écorces rapaces)

Les tombes sont des navires

Capitaine tenace
l'équipage disparu

Là-bas autres cages
somptueux étalages

Le même soleil
prisonnier de la mie
mêmes abeilles
héritières des chaînes

La baie
bouton de mer

Premières fièvres
graines pubères

L'océan envoûte
le champ

Pluie pluie pluie pluie
Airées célébrées

II

Nuit cet été
miroir introuvable

III

Jeune fille à la blessure d'hirondelle
Le printemps enrobe ta chevelure
au vent

Soleil
longue-vue pointée sur le feu
de la colère
de l'amour

Une gousse d'ail un battement d'aile
L'aventure au vieux marché aux esclaves

 

Edmond Jabès / Le Seuil Le Sable - Poésies complètes 1943-1988
Photo : Edmond Jabès Copyright © Leonardo Cendamo