« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE TEMPS ET MOI

 

 

 

Dans le mur, à l'heure où le chat-huant se retourne dans ses clameurs,
Éclaboussant dans le jardin les roses d'une nuit de ses couleurs
Qui ressembleraient étrangement à des flammes veillant à côté de
leurs lampes,
Une couleuvre est de sortie hors des broussailles et rampe
Dans une fuite de sommeil dont les pierres sont déjetées.
C'est un sablier qui se renverse, le temps disjoint rejoint l'éternité.
Un frisson se retient, un nerf se rompt, une pincée de cendre
Amorce une chute retenue, entraîne un remuement.
Rien qu'à
l'entendre
La chaleur dans mon corps qui veut me rassurer, ma lâcheté serrant
ses bras autour du cou,
Murmure qui me désole et me console : «
Tout durera bien plus que
nous».
J'ai peur, je suis vivant.
La chasse est dans le temps qui piétine dans
la pendule.
Par la fenêtre ouverte, elle surveille la transhumance des collines
noctambules
Et, soudain, fait s'envoler une compagnie d'étoiles dans l'éblouis-
sement d'une beauté plus cruelle que le remords
Car il fait plus beau sur terre que dans les rêves.
Et le sang qui se
refuse se retourne comme un serpent et mord.
C'est la mort qui travaille et reste à mon écoute,
Et me construit et me détruit mon cœur qui bat la campagne comme
un nomade court les routes Dans le sourd tremblement d'une terre alertée
Par le désordre des charrois des fourgons nocturnes en déroute de
l'été.

 

Jean Malrieu / Poésies complètes