« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

A SA DAME - ALLA SUA DONNA

 

 

 

     Chère beauté qui, loin,
M'inspire amour, en voilant ton visage —
Hormis dans le sommeil, ombre
Divine, quand tu surprends mon cœur —,
Et dans les champs où la lumière
Brille plus claire, et le rire du monde,
Tu as peut-être enchanté
L'âge innocent qui prit le nom de l'or,
Et âme, parmi les hommes,
Légère, voles-tu, ou le sort qui te cache
Prépare-t-il à nos fils sa venue ?

     Te contempler vivante,
Je n'en ai plus l'espoir ;
Sinon quand seul alors, quand dénué
Par un autre chemin vers un séjour étrange
S'en ira mon esprit. déjà, au premier seuil
De ma saison précaire et sombre,
Toi, compagne sur la terre stérile,
Je te rêvai. Mais il n'en est rien dans le réel
Qui te ressemble, et s'il en était une
Qui le fût par les traits, les gestes, la parole,
Toute semblable à toi, elle serait moins belle.

     Parmi tant de douleur
Qu'au temps de l'homme impose le destin,
Si, vraie, telle que ma pensée te peint,
Quelqu'un t'aimait sur terre, à lui serait pourtant
Ce vivre bienheureux ;
Et je vois clair que ton amour
Me ferait comme aux primes années,
Chercher la valeur et l'éloge. Mais le ciel
N'a donné nul confort à nos souffrances,
Et la mortelle vie deviendrait près de toi
Semblable à celle qui rend pareil aux dieux.

     Par les vals où résonne
Du laboureur fatigué la chanson,
Où je m'arrête et me lamente
De l'enfantine erreur qui m'abandonne ;
Par les collines où je rappelle et pleure
Les disparus désirs et l'espoir
Disparu de mes jours, dans ta pensée,
Je palpite à nouveau. Si je pouvais
Dans la nuit du siècle et cet air corrompu
Sauver le signe pur ! car de l'image,
Puisque le vrai m'est enlevé, je suis heureux.

     Si des idées éternelles,
Tu es l'une, à qui forme sensible
Dédaigne de donner l'éternelle Sagesse
Et, parmi ces dépouilles fragiles,
L'épreuve des souffrances de la funèbre vie,
Ou si, dans les hauts cercles, une autre terre
Parmi des mondes innombrables t'abrite,
Que proche, plus claire que soleil, une étoile
Brille sur toi, que d'un éther plus doux tu vives,
D'ici où les années sont hostiles et brèves,
D'un inconnu qui t'aime, cet hymne, accueille-le.


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ALLA SUA DONNA

     Cara beltà che amore
Lunge m'inspiri o nascondendo il viso,
Fuor se nel sonno il core
Ombra diva mi scuoti,
O, ne campi ove splenda
Più vago il giorno e di natura il riso ;
Forse tu l'innocente
Secol beasti che dall'oro ha nome,
Or leve intra la gente
Anima voli ? o te la sorte avara
Ch'a noi t'asconde, agli avenir prepara ?

     Viva mirarti omai
Nulla spene m'avanza ;
S'allor non fosse, allor che ignudo e solo
Per novo calle a peregrina stanza
Verrà lo spirito mio. Già sul novello
aprir di mia giornata incerta e bruna,
Te viatrice in questo arido suolo
Io mi pensai. Ma non è cosa in terra
Che ti somigli ; e s'anco pari alcuna
Ti fosse al volto, agli atti, alla favella,
Saria, cosi conforme, assai men bella.

     Para cotanto dolore
Quanto all'umana età propose il fato,
Se vera e quale il mio pensier ti pinge,
Alcun t'amasse in terra, a lui pur fora
Questo viver beato :
E ben chiaro vegg'io siccome ancora
Seguir loda e virtù qual ne prim'anni
L'amor tuo mi farebbe. Or non aggiunse
Il ciel nullo conforto ai nostri affanni ;
E teco la mortal vita saria
Simile a quella che nel cielo india.

     Per le valli, ove suona
Del faticoso agricoltore il canto,
Ed io seggo e mi lagno
Del giovanile error che m'abandonna ;
E per li poggi; ov'io rimembro e piagno
I perduti desiri, e la perduta
Speme de giorni miei ; di te pensando,
A palpitar mi sveglio. e potess'io,
Nel secol tetro e in questo aer  nefando,
L'alta specie serbar ; che dell'imago,
Poi che del ver m'è tolto, assai m'appago.

     Se dell'eterne idee
L'una sei tu, cui di sensibil forma
Sdegni l'eterno senno esser vestita,
E fra caduche spoglie
Provar gli affanni di funerea vita ;
O s'altra terra ne superni giri
Fra mondi innumerabili t'accoglie,
E più vaga del Sol prossima stella
T'irraggia, e più benino eter spiri ;
Di qua dove son gli anni infausti e brevi,
Questo d'ignoto amante inno ricevi.

Leopardi / Chants - Canti
traduit de l'italien par Michel Orcel
Illustration : Leopardi par Danilo Interlenghi