« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES JUIVES

 

 

 

Le Chœur :

Pauvres filles de Scion,
Vos liesses sont passées ;
La commune affliction
Les a toutes effacées.

Ne luiront plus vos habits
De soie avec l'or tissue ;
La perle avec le rubis
N'y sera plus aperçue.

La chaîne qui dévalait
Sur vos gorges ivoirines
Jamais comme elle souriait
N'embellira vos poitrines.

Vos seins, des cèdres pleurants
En mainte larme tombée
Ne seront plus odorants,
Ni des parfums de Sabée,

Et vos visages, déteints
De leur naturel albâtre,
N'auront souci que leurs teints
Soient peinturés de cinabre.

L'or crêpé de vos cheveux,
Qui sur vos tempes se joue,
De mille folâtres nœuds
N'ombragera votre joue.

Nous n'entendrons plus les sons
De la soupireuse lyre
Qui s'accordait aux chansons
Que l'amour vous faisait dire,

Quand les cuisantes ardeurs
Du jour étant retirés,
On dansait sous les tiédeurs
Des bruissantes soirées,

Et que ceux-là dont l'amour
Tenait les âmes malades,
Faisaient aux dames la cour
De mille douces aubades,

Contant les affections
De leurs amitiés fidèle
Et les dures passions
Qu'ils souffraient pour l'amour d'elles.

Las ! que tout est bien changé !
Nous n'avons plus que tristesse.
Tout plaisir s'est étrangé
De nous, et toute liesse.

Notre orgueilleuse Cité,
Qui les cités de la terre
Passait en félicité,
N'est plus qu'un monceau de pierre.

Dessous ses murs démolis,
Comme en communs cimetières,
Emeurent ensevelis
La plus grand' part de nos frères.

Et nous, malheureux butin,
Allons soupirer captives,
Bien loin dessous le matin,
Sur l'Euphrate aux creuses rives,

Où, confites en tourment,
Toute liberté ravie,
En pleurs et gémissant
Nous finirons notre vie.

 

Joseph Garnier (1535-1601) / Les Juives (extrait)