« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Notes de mondes antérieurs

 

 

 

Chavirée quelque part et échouée
ici dans ce fauteuil à bascule bleu-gris
à peu près acclimatée
aux différences de pression

je suis assise et je regarde
ce que j'ai remonté dans mes filets
ce matin : des messages
en provenance d'un niveau plus rude;

Je suis bercée par une journée bleu-gris,
tandis qu'en dessous de moi
les créatures des profondes
abysses nagent
par-delà la mémoire
du soleil ou des marées lunaires :

certaines fragiles, d'autres
vicieuses comme des aiguilles ; toutes
protégées par une armure en peau
qui n'est autre qu'une langue ; camouflage
de lumières froides, de signaux potentiels
qui attirent la proie ou qui lancent à l'entour
des éclairs d'avertissements
transmis à travers le profond noyau
de la mer, destinés à eux seuls.

J'ai reçu des yeux et des poumons, la liberté
de dissocier le matin de la nuit
de respirer
                   Ai-je perdu
une sagesse électrique
dans la légère opacité de l'air ?

Les mots ont échoué
sur les marges, mutilés
par le voyage qui les conduit à la surface
bleu-gris, la transition :

ces significations jadis
phosphorescentes et vivante
s'évanouissent entre mes mains

je m'arrache mais ne peux déchiffrer.

 

Margaret Atwood / Laisse-moi te dire - Poèmes 1964-1974
traduit de l'anglais (Canada) par Christine Évain