Lo Camargo - La Camargue
Par domcorrieras, le lundi 25 décembre 2023 - Poèmes & chansons - lien permanent
CANT DESEN
Lo Camargo
Desempièi Arle jusqu'à Vènço,
Escoutas-me, gènt de Prouvènço !
Se trouvas que fai caud, ami, tóutis esèn,
Sus lou ribas di Durençolo
Anen à santo-repausolo !
E, de Marslho à Valençolo,
Que se cate Mirèio e se plagne Vincèn !
Lou pichot barquet fendié l'aigo,
Sèns mai de brut qu'uno palaigo ;
Lou pichot Andreloun menavo lou barquet ;
E l'amourouso qu'ai cantado
Em' Andreloun s'èro avastado
Sus lou grand Rose ; e, d'assetado,
Countemplavo lis oundo em un regard fousquet
E ié disié l'enfant remaire :
« Ve ! coume es large dins sa maire
Lou Rose ! … Jouveineto, entre Camargo e Crau,
Se ié farié de bêlli targo !
Car aquelo isclo es la Camargo,
E peralin tant s'esalatgo
Que dóu flume arlaten vèi bada li sèt grau. »
Coume parlavo, dins lou Rose
Tout respendènt di trelus rose
Que deja lou matin i'espandissié, plan-plan
Mountavo de lahut : di velo
L'auro de mar gounflant la telo,
Li campejavo davans elo
Coume uno pastourello un trupèu d'agnèu blanc.
O magnifiqui souloumbrado !
De frais, d'aubo desmesurado
Miraiavon, di bord, si pège blanquinous ;
De lambrusco antico, bistorto,
I'envertouiavon si redorto,
E dóu cimèu di branco forto
Leissavon pendoula si pampagnoun sinous.
Lou Rose, emé sis oundo lasso,
E dourmihouso, e tranquilasso,
Passavo ; e regretous dóu Palais d'Avignoun,
Di farandoulo e di sinfoni,
Coume un grand vièi qu'es à l'angòni,
Eu pareissié tout malancòni
D'ana perdre à la mar e sis aigo e soun noum.
Mai l'amourouso qu'ai cantado
Sus lou dougan èro sautado :
«Camino, lou pichot ié cridavo, tant que
Trouvara s de camin ! Li Santp
A sa capello miraclanto
vTout dre te menaran. » Aganto,
Acò di, si dos remo, e viro soun barquet.
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CHANT DIXIÈME
La Camargue
Depuis Arles jusqu'à Vence,
Gens de Provence, écoutez-moi !
Si vous trouvez qu'il fait chaud, amis, tous ensemble,
Sur la berge des Durançoles
Allons nous reposer !
Et, de Marseille à Valensole,
Que l'on chante Mireille, que l'on plaigne Vincent !
La petite nacelle fendait l'eau,
Sans plus de bruit qu'une sole ;
Le petit Andrélon conduisait la nacelle ;
Et l'amante que j'ai chantée,
Sur le vaste Rhône, et, assise,
Elle contemplait les ondes, d'un regard nébuleux.
Et lui disait l'enfant rameur :
« Vois! comme est large dans son lit
Le Rhône !… Jeune fille, entre Camargue et Crau,
Il se ferait de belles joutes !
Car cette île, c'est la Camargue,
Et au loin tellement elle s'étend
Que du fleuve arlésien elle voit béer les sept embouchures.»
Comme il parlait, dans le Rhône
Tout resplendissant des reflets roses
Que le matin y épandait, lentement
Montaient les tartanes : des voilures
Le vent de mer gonflant la toile,
Les poussait devant lui,
Comme une bergère un troupeau d'agneaux blancs.
O magnifiques ombrages !
Des frênes, des peupliers blancs gigantesques
Miraient, des bords, leurs troncs blanchâtres ;
Des lambrusques antiques, tortueuses,
Y enroulaient leurs lianes,
Et du faîte des branches fortes
Laissaient pendiller leurs moissines noueuses.
Le Rhône, avec ses ondes fatiguées,
Dormantes, majestueusement tranquilles,
Passait ; et regrettant le Palais d'Avignon,
Les farandoles et les symphonies,
Comme un grand vieillard qui agonise,
Il semblait tout mélancolique
D'aller perdre à la mer et ses eaux et son nom.
Mais l'amante que j'ai chantée
Avait sauté sur le rivage :
« Marche, le petit lui criait, tant que
Tu trouveras du chemin ! Les Saintes
A leur chapelle miraculeuse
Tout droit te conduiront. » Il saisit,
Cela dit, ses deux rames, et tourne la nacelle.
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Frédéric Mistral / Mirèio - Mireille (extrait)