« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Prologue

 

 

 

Votre pensée
qui rêvasse sur un cerveau ramolli,
comme un laquais aux chairs flasques sur son canapé luisant,
je la taquinerai avec un lambeau de cœur démoli ;
à satiété je me moquerai, caustique et insolent.

Mon âme n'a pas le moindre cheveu blanc,
ni la tendresse du vieillard !
Ébranlant l'univers de mots assourdissants,
j'avance — beau,
j'ai vingt-deux ans.

Tendres !
Vous mettez l'amour en violons.
En timbales l'amour est flanqué par des cœurs de pierre.
Mais vous ne pouvez pas devenir une lèvre à reculons
comme moi; en vous mettant à l'envers !

Venez apprendre
une fonctionnaire de la ligue des anges,
décente, revêtue de lin, entrera dans la salle.

Et comme une cuisinière qui tourne savamment les pages,
elle feuillette vos lèvres d'un geste trivial.

Voulez-vous
que je sois de viande fou
— et comme un ciel qui change de tons —
voulez-vous
que je sois impeccablement doux,
pas un homme, mais — un nuage en pantalon !

Je ne crois pas qu'il y ait une Nice couverte de pétales !
Me voilà, à glorifier encore par mes vers
les hommes ternes comme des draps d'hôpital,
les femmes rebattues comme un proverbe.

 

Vladimir Maïakovski / Un nuage en pantalon
Traduit du russe par Elena Bagno & Valentina Chepiga