« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Autre nature morte : chaise et violon ou l'étonnement d'être au monde

 

 

 

L'étonnement — comme un choc — que nous fait éprouver (parfois) le simple fait d'être et d'être là se manifeste au plus haut point lorsque ce choc vient à notre rencontre avec un objet inanimé, le plus simple, le plus usuel, disons une chaise posée sur le plancher.
Je compare ce saisissement (qui peut aller jusqu'à l'angoisse) à l'impression que nous éprouvons lorsque nous roulons à vive allure dans un train ou dans une auto et que le véhicule, brusquement, stoppe.
On dirait que notre conscience, profondément imprégnée de mouvement et de devenir, ressent par contraste, à certains moments de rupture, la résistance surprenante des choses qui n'existent que pour elles-mêmes.
Alors  l'opacité, la cécité du monde inerte nous frappent parce que l'objet (recevant la mobilité de la lumière sans y répondre par un geste) existe sans pouvoir se connaître, tandis qu'en même temps et par un jeu inverse, il est tout entier menacé par le non-être.
Comme si le néant était la face cachée des objets — ou leur «âme», je veux dire ce petit osselet de bois qui, associé au vide, à l'intérieur du violon, lui donne sa souveraine résonance.

 

Jean Tardieu / Obscurité du jour