« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ou bien

 

 

 

Pour Isabelle


Au commencement, des peurs
Des peurs terribles, vacillant comme des statues sans
Socle Puis l’apparition flasque d’astres sans vigueur
Aucune la
Matière déjà ne semblait plus être une elle résonnait
D’étranges conflits Au sein d’un contenant que son contenu laissait
Parfaitement
Indifférent le contraire fut
Mu uniquement par le très vieux désir, déjà,
de la vengeance
Faire rendre gorge
À ce qui s’est permis de nous donner naissance
À nôtre place Moteur sans combustible de toute
Théodicée Moteur premier
De la moindre de nos odyssées fossiles, sédimentées
Ecartées l’une de l’autre par l’incompréhension du vertical et le
                                                                   Vertigineux péril
De bien trop subtiles sujétions brandies par des homuncules vers
Ceux dont ils prétendent ne pas être les rejetons
Ludions montant et descendant dans le lumineux tube empli
Du sperme initial
Nouménal
Celui qui s’élança dans un vide qualifiable seulement de
Vaginal
Par le simple plaisir de sa propre volition
Mais il était déjà trop tard

Désireux de s’étreindre les êtres étranges d’Aristophane s’étaient
Déchiré les chairs dans le seul but
Dévorant
D’étreindre leur envers mais
Ils n’étreignirent qu’eux-mêmes placés forcés devant
L’éternelle dubitation La duplication de leurs miroirs Ils
Firent tellement bien semblant d’y croire que cette fable
Dure encore Sourde à l’oreille des morts et des vivants Rencontrer
Son double est terrible, dit Rilke Il
Ne dit rien en revanche du péril qu’il y a ou non
À ne jamais le trouver Peut-être la clef
Se trouve-t-elle dans la volupté du “côtoyer” incarnée par
L’anonymat des villes où le seul critère de beauté est la capacité
                                                                      À disparaître
Fugace et hautain, disparaissant de la morne surface, soudain
Vers les entrailles les intestins du Métropolitain Alors
Tu restes un moment sur place Avec tes yeux tu joues
À mouiller un peu tes mains sur l’amour entrevu Tu
Agites vainement les silex du rêve pour apporter l’étincelle
                                                                    à ton destin Mais

Il semblerait bien que ta capacité à souffrir pour rien
Se soit perdue au large Fort bien !
Alors ouvre, enfin les yeux et permets-toi
De t’étonner encore

Nul besoin de musique, nul
Besoin de longs plans-séquences viscontinus pour
Réinsérer le tragique dans le quotidien Formulations à peu près
                                                                             Identiques
À bien y regarder, si l’on y songe mieux - mais
L’on songe toujours un petit peu à côté de nos songes, dans
La contrée limitrophe de nos yeux, éponges qui avalent
Plus qu’elles ne peuvent contenir et contiennent
Cependant davantage que ce qu’elles peuvent avaler
                                                                 (dommage !) - il
Semblerait bien que nous soyons placés sous le signe éminemment
démiurgique de l’aporie,
Seule représentation qui fasse de l’ignoble ficelle que serait sans elle
Chacune de nos vies
Un très intéressant sac de nœuds Tant pis ?
Tant mieux ! Autant poser les mêmes vieux problèmes à
La mer et à son éternel ressac Tant mieux ?
Tant pis ! Tout est déjà trop vieux mais

Peut-être tout
appartient-il à un projet pour lequel subsiste cette pierre à feu
Ce silex, ce doute au fond de l’être Non bien sûr pour la peu
Sotériologique vertu du brasier qui rassemble, non
Davantage pour la christique étincelle qui ressemblerait
Au clin d’œil d’un dieu totalement défoncé Non
Elle subsisterait, sexe, silex, pour la seule sauvegarde d’une
                                                               autonomie Que,
Par mégarde, ce dieu sous acides a placé entre les mains avides
d’une vie
Qui veut exister et dont il n’avait probablement nul souci
D'autant qu’elle ne cesse
De ses petits poings et de ses petits cris
De réclamer sa paradoxale autonomie (image hautement parentale
Torchon sale, lessive qui suit tout meurtre familial)
Ternes eaux d’une Création aux relents
Séminaux aux odeurs de troupeau sous
La garde d’Orion et du Berger, sous le baudelairien couvercle
D'un firmament inventé de
Toutes pièces pour satisfaire à cet indécrottable besoin de voir clair
Surtout quand l’humain se rassemble aux
Cheminées et écoute à rebours des grands-mères ridées de
Labours prononcer à l’envers sa destinée

La perduration de toute génération, n’en déplaise à certain,
N'est pas seule pulsion à la gésine mais
Continuation quasi japonaise du trait qui
Nous commença un jour, comme à l’anglaise,
Qui commença à nous dessiner et ne peut avoir de sens que s’il
Nous dessine Nul ne garantit que le portrait
Sera ressemblant
De même que l’art du go consiste
À frapper d’agonie la gorge de l’autre en y enfonçant la mort de
Tout espace, en le réduisant à l'évidence de sa propre entropie
La vie (tambours !) La vie disait-on dans des élans
D'’opérette La vie n’a d’autre intérêt que d’être indéfiniment reportée
Rapportée, bue, mue vers l’organisme dont la fonction est de nous
En reverser la caution Pour le reste elle
Se sera écoulée plus ou moins dignement dans
Les faïences fêlées de nos commodités ou
Sur l’asphalte bleuté de nos avenues Mais pourtant,
Nom de Dieu nous aurions bel et bien le droit à cette caution
Pour avoir ramené à l’origine le contenant, un peu ridé, à l’endroit
même où nous avons pris racine Oui

Ou bien

Rien Rien Rien
Redonne, redonne à ta vie le vide auquel elle peut prétendre
Schizophrène
Enfin rendu pareil à toi-même
Cire éteinte de cu
Cui
Cuit tout droit du ciel
Dans les mâchoires de tes méninges dans
La tache absolue qui, à elle seule,
Justifie de linge
Le plus intime
Le linge de corps le linceul
Le singe - et son décor - tournant dans sa roue et,
Fou d’elle
Replie tes désirs jusqu’à la congrue portion
Fais-lui peur, fais-lui part de la douleur, fais-la participer Au bran-
le des ossements Pauvre ivrogne que demain Battra comme son
chien

- - -

Il est venu le temps de feindre, de feindre ou de mourir vraiment,
         D’occire nos géniteurs, d’étrangler tout qui ose se dire
                                                               notre progéniture
Il est temps de se rasseoir devant les invisibles ratures de la feuille
blanche
Temps de tout avouer
Ou alors se taire, aller à la fenêtre, y contempler longuement
Le singulier mystère de nos dimanches


Saint-Gilles, février-août 2001

 

Vincent Watelet / Sfumato